Le plan américain pour la gestion des recettes du pétrole libyen s’est-il effondré ?
Le plan américain a tenté de geler provisoirement les recettes du pétrole libyen dans un compte de la Libyan Foreign Bank, jusqu’à la mise sur pied d’un mécanisme transparent pour les décaisser et les dépenser.
Le plan américain comporte plusieurs étapes dont le gel provisoire des recettes de la Compagnie nationale de pétrole libyenne (AFP)

L’annonce faite par le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Al-Manfi, en vertu de laquelle il est déterminé à « placer l’administration des recettes pétrolières sous la responsabilité exclusive des Libyens », constitue un échec du plan de l’ambassadeur américain, Richard Norland, visant à mettre sur pied un mécanisme international d’administration des recettes du pétrole libyen.

La déclaration d’Al-Manfi, faite au cours d’une rencontre avec Charles Michel, président du Conseil européen, dans la capitale de la Zambie, Lusaka, renferme un refus implicite du plan américain portant administration internationale des recettes du pétrole, que certains Libyens assimilent au programme onusien « Pétrole contre nourriture » mis en place en 1995 en Irak.

Le limogeage de Mustafa Sanalla, personnalité appuyée par l’Occident, à la tête de la Compagnie nationale de pétrole libyenne (NOC), a représenté également un autre revers du plan américain d’administration des recettes pétrolières libyennes, à travers lequel Washington et ses alliés européens visent à identifier des alternatives au pétrole et au gaz russes.

Une administration internationale du pétrole

Quelques jours après le lancement par la Russie d’une opération militaire en Ukraine, le 24 février dernier, des groupes tribaux loyaux à Khalifa Haftar, le chef des forces armées qui contrôlent l'est de la Libye, ont bloqué, lors d’une opération surprise, des champs et des terminaux pétroliers, ce qui a constitué une pression supplémentaire exercée sur les prix mondiaux du brut qui avaient franchi la barre symbolique des 100 dollars le baril.

L’ambassadeur Norland s’était hâté, au mois de mars, de proposer un mécanisme international destiné à administrer les recettes du pétrole, dans le but « d’empêcher l’extension de la crise pour englober une guerre économique qui sera à même de priver les Libyens des salaires, des produits subventionnés et des investissements gouvernementaux et qui pourrait impacter sur les marchés mondiaux de l’énergie ».

Cette proposition est intervenue au même moment où le Parlement de Tobrouk accordait sa confiance à un nouveau gouvernement conduit par Fathi Bachagha et était simultanée au rejet attendu par Abdulhamid Dbeibeh, chef du gouvernement d’union nationale, de remettre le pouvoir, conditionnant cette mesure par l’existence d’un gouvernement issu des urnes.

Les partisans de Haftar ont eu, donc, recours au blocage des installations pétrolières, pour exercer une pression sur Dbeibeh, afin que ce dernier cède le pouvoir à Bachagha, l’accusant d’utiliser les recettes pétrolières pour acheter et garantir la loyauté des régiments et des phalanges de la région ouest du pays, formations qui s’étaient interposées pour empêcher l’entrée de Bachagha à Tripoli.

Cette situation a suscité l’inquiétude de Washington ainsi que des doutes quant à un rôle discret du groupe paramilitaire russe « Wagner » qui aurait poussé Haftar et ses partisans à bloquer les installations pétrolières, ce qui a constitué un facteur de pression de plus sur les cours du brut.

Au cours de sa rencontre à Tripoli avec des responsables libyens en charge du dossier du pétrole, à la fin du mois de juin dernier, Norland a exprimé son inquiétude de constater que « le secteur du pétrole est manipulé comme arme ou que des décisions unilatérales soient prises et impactent ainsi sur la manière de dépenser les recettes pétrolières libyennes ».

Le message était adressé à Haftar et à ses partisans qui utilisent le pétrole comme une arme pour faire plier le gouvernement de Dbeibeh, ainsi qu’à ce dernier qui dépense généreusement pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique et celles des phalanges de la région ouest.

L'une des dimensions du conflit libyen est focalisée sur la richesse et le pétrole constitue la principale source de cette richesse, cependant en Libye personne ne contrôle en entier l’or noir. Haftar contrôle la majorité des champs et des terminaux pétroliers, tandis que le gouvernement d'union nationale dirige la Compagnie nationale de pétrole libyenne, qui exporte le produit et transfert les recettes vers la Banque centrale de Libye.

Haftar a tenté d'obtenir la part du lion de cette richesse et ses partisans ont, plus d'une fois, bloqué les installations pétrolières pour priver le gouvernement à Tripoli et l'empêcher de bénéficier des recettes.

Washington coordonne, par ailleurs, avec le « Groupe d'action économique », issu de la Conférence de Berlin, qui comporte également en son sein les Nations Unies, l'Union européenne et l’Égypte.

Les États-Unis ont adopté un plan d’administration des recettes du pétrole libyen avec « transparence ». Ce plan comporte plusieurs étapes, notamment, le gel provisoire des recettes dans le compte de la Compagnie nationale de pétrole libyenne auprès de la Libyan Foreign Bank, jusqu’à parvenir à un mécanisme de gestion des recettes.

Le plan américain exige que le mécanisme d’administration des recettes du pétrole comporte « un accord sur les dépenses prioritaires, des modalités assurant la transparence et des mesures pour garantir le contrôle et l’imputabilité ».

Moyennant cette formule, les fonds ne seront pas transférés à la Banque centrale et, partant au gouvernement de Dbeibeh, les dépenses seront restreintes aux titres budgétaires prioritaires, essentiellement le versement des salaires des fonctionnaires.

Les États-Unis offrent également leur aide et appui technique, à la demande des parties libyennes, pour mettre en œuvre ce mécanisme, selon des communiqués de l'ambassade américaine.

En dépit de la tentative de conférer au mécanisme d'administration des recettes financières un caractère et un cachet libyens, il n'en demeure pas moins que la supervision sera internationale, et majoritairement américaine, à travers un cabinet international de comptabilité.

Le placement des recettes pétrolières dans une banque extérieure suscite une inquiétude libyenne qui appréhende la perte de millions de dollars, sous couvert d'indemnisations d'individus ou de compagnies étrangères, tel que cela s'était produit dans d'autres pays, en l'occurrence l'Irak et l'Afghanistan.

Le plan américain contourné

L’ambassadeur américain a admis qu’aucun résultat définitif n’a été atteint en ce qui concerne la mise sur pied du mécanisme d’administration des recettes pétrolières, et ce, en dépit des consultations qui se déroulent au niveau du « Groupe d’action économique » et avec les partenaires libyens.

Il convient de noter aussi que même la volonté exprimée par Washington pour geler provisoirement les recettes pétrolières n’a pas été respectée. En effet, l’ambassadeur américain avait souligné qu’au mois d’avril dernier, la Compagnie nationale de pétrole avait transféré vers la Banque centrale de Libye, deux montants de deux et de six milliards de dollars.

En dépit des critiques formulées par le diplomate américain à l’égard du transfert par la Compagnie nationale de pétrole de ces fonds vers la Banque centrale, et par conséquent au gouvernement d’union nationale, Norland a considéré que Mustafa Sanalla a subi « d’énormes pressions de différentes parties pour faire quelque chose avec ces fonds ».

« Les énormes pressions » proviennent, en particulier, du gouvernement d’union nationale et des instances de contrôle, à l’instar de la Cour des comptes.

Cette situation teintée de tensions entre Sanalla et le gouvernement de Dbeibeh, concernant le transfert des recettes pétrolières vers la Banque centrale, a atteint son paroxysme lorsque le ministre du Pétrole, Mohamed Aoun, avait accusé le patron de la NOC de « manque de transparence et de dissimulation de rapports et de bilans comptables ».

Bien que Dbeibeh avait, à maintes reprises, rejeté et annulé les arrêtés du ministre du Pétrole portant limogeage de Sanalla, il n’en demeure pas moins, qu’à la fin du mois de juin dernier, il avait décidé de le remercier et de le lâcher.

Cette décision ne s’inscrit nullement dans le cadre de la solidarité gouvernementale, mais reflète l’insatisfaction de Dbeibeh à l’égard de l’attitude de Sanalla, qui n’était pas assez coopératif aux yeux du chef du gouvernement d’union nationale.

Washington s’était opposé au limogeage de Sanalla, un de ses principaux partenaires dans la mise en œuvre du mécanisme d’administration des recettes pétrolières, et a appuyé les mesures prises par l’ancien patron de la Compagnie nationale de pétrole, qui avait recouru à la justice pour déposer une plainte contre la décision gouvernementale de son limogeage.

Toutefois, le consensus entre Haftar et Dbeibeh pour limoger Sanalla et son remplacement par Farhat Bengdara à la tête de la NOC ainsi que la fin du blocage des installations pétrolières, sont autant d’éléments qui illustrent un échec « partiel » du plan américain.

Le consensus non déclaré aboutira au fait que l’autorité de l’administration des recettes financières sera aux mains du gouvernement de Dbeibeh, en coordination avec Haftar, ce qui éloignera le contrôle américain et européen des recettes du pétrole libyen, une mesure qui aurait certainement affaibli les protagonistes libyens en conflit.

Le refus explicite formulé par le président du Conseil présidentiel, premier refus du genre d’un responsable libyen, pour rejeter « l’administration des fonds par des non-libyens », s’inscrit dans le cadre de l’inquiétude de placer le pays, ses recettes, ses fonds et ses réserves en devises, sous la tutelle internationale.

La reprise de l’exportation du pétrole libyen, en particulier vers les marchés européens, est de nature à alléger les pressions américaines exercées pour adopter le « mécanisme d’administration des recettes pétrolières » et pour protester contre le limogeage de Mustafa Sanalla, mais ne permettra pas de mettre fin prochainement au conflit entre Haftar et le gouvernement d’union nationale au sujet de la gestion des recettes pétrolières.

AA