Le non-alignement serait-il de retour ?
L’idée du non-alignement n’est pas morte. Elle cherche un cadre pour prendre forme.
La tentation sera grande à ce que les pays du Sud se démarquent désormais de l’Occident (AP)

On raconte, sous forme de boutade, que l’ancien secrétaire d’Etat américain Forster Dulles, aurait demandé à l’homme lige des Américains, l’omnipotent Premier ministre irakien de l’époque Nouri Said, au lendemain de la prise du pouvoir en Egypte par Nasser : « Combien vaut ce Nasser ? ». Les responsables américains étaient exaspérés par le volte-face du Rais après son retour de la conférence de Bandung en 1955 qui avait jeté les bases du non-alignement. Et Said de répondre : « Je crains fort qu’il ne soit pas possible d’acheter un Arabe. Vous pouvez le louer, et pour un temps seulement » (You can only rent him, for a while).

Jamais une telle boutade n’a été aussi vraie, dans le contexte de la guerre russo-ukranienne. Les inconditionnels parmi les pays arabes ont manifesté leur autonomie par rapport à Washington, s’abstenant de condamner Moscou, ou édulcorant leurs positions, refusant de s’aligner sur Washington en matière de sanctions économiques, mais surtout maintenir leur autonomie en matière de politique pétrolière, refusant d’augmenter la production des hydrocarbures.

L’Arabie Saoudite, allié traditionnel des Américains, a enfoncé le clou allant jusqu’à accepter l’échange avec le Yuan la monnaie chinoise, en matière de vente du pétrole, donnant crédit à une idée chinoise de casser le monopole du dollar dans les échanges internationaux. Saoudiens comme Emiratis ont été échaudés par la frilosité américaine à condamner les attaques des Houthistes, la prédisposition de l’administration américaine à prendre langue avec Téhéran et la crainte de normaliser avec leur ennemi commun.

Ce fut une douche froide dans le cénacle des analystes à Washington et dans le Hill. Le très informé Martin Indyk, qui avait présidé l’institut de Washington proche d’Israël, avait publié un article, au lendemain de la guerre, dans Foreign Affairs intitulé « le prix du retranchement », analysant le peu d’empressement des pays du Moyen Orient, alliés traditionnels des États-Unis, à s’aligner sur la position de Washington dans la guerre qui fait rage en Ukraine.

Dans la même veine, David Gardener, fin connaisseur du Monde arabe, a écrit dans le Financial Times, que « Washington et les capitales européennes sont irrités par les réactions évasives de leurs alliés du Golfe » et envisagent, du coup, un reset avec leur alliés dans la région.

La guerre en Ukraine semble être une guerre de l’Occident contre Poutine, et c’est là où le bât blesse.

En Afrique, la tendance est plutôt à la circonspection. La moitié des pays africains ont refusé de condamner la Russie à l’Assemblée générale des Nations Unies, et les géants du continent noir, l’Afrique du Sud et le Nigeria, ont affiché une position plutôt critique vis-à-vis de l’élargissement de l’Otan, jetant la responsabilité de la guerre sur Washington.

L’Inde, pourtant allié de l’Occident, préfère camper dans une position neutre d’un Etat bascule, maintenant l’approvisionnement bon marché du pétrole provenant de la Russie, et refusant de condamner Moscou, tout en continuant de prendre langue avec les Occidentaux.

En Amérique Latine, les vieux réflexes anti-Yankee ressurgissent, hormis chez la gauche new look, du nouveau président chilien Gabriel Boric. La gauche traditionnelle, fort prégnante en Amérique Latine, comme le populiste brésilien Jair Bolsonaro, affichent leur empathie à l’égard de Poutine.

Est-ce donc le retour du non-alignement ? Le mouvement qui avait incarné l’idée d’une alternative était devenu l’ombre de lui-même. Il avait perdu sa raison d’être depuis la fin de la guerre froide. Les membres du Sud s’étaient empressés à se mettre sous la coupe de l'imperium américain, avalant leurs griefs. La guerre en cours leur donne l’occasion de montrer la tête.

Il serait superfétatoire d’insuffler vie à un cadre moribond, mais la tentation sera grande à ce que les pays du Sud, se démarquent désormais de l’Occident et de son chef de file les États-Unis.

L’Afrique, le monde arabe, l’Amérique Latine, autant que l’Inde, auront différentes raisons pour afficher leur autonomie. Ils partagent néanmoins les stigmates d’un inconscient historique d’anciennes colonies pour la plupart, et des griefs contre ce que d’aucuns appellent le nouveau colonialisme, fait de cynisme et d’exploitation sans vergogne.

L’idée du non-alignement n’est pas morte. Elle cherche un cadre pour prendre forme.

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