La France n’est plus la grande nation agricole européenne, ses exportations sont en baisse

La balance commerciale alimentaire française pourrait se solder en 2025 par un déficit, ce qui serait une première depuis 50 ans, alertent les représentants des filières agricoles. Mais comment cette puissance agricole en est-elle arrivée là ?

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Manifestation devant le Parlement européen à Bruxelles ce jeudi 18 décembre / AFP

Premier poste d'exportation de la France (14 % du total), les produits agricoles et alimentaires voient leur excédent se réduire depuis plusieurs années, et la tendance s'est accentuée en 2025 au point de redouter aujourd'hui un bilan annuel négatif.

En 2024, l’excédent agricole français était de 4,9 milliards d’euros, et à la fin de l’été 2025, l’excédent cumulé — vins et spiritueux inclus — n’était plus que de 47 millions d’euros. 

“Nous rétrogradons très sérieusement sur notre capacité d'exportation. La part de la France à l'export dans le monde baisse, mais surtout les importations françaises augmentent et ça traduit bien la faiblesse de notre appareil de production”, a analysé le président de la Coopération agricole Dominique Chargé lors des Assises de l’export.

L'an dernier, les produits agricoles et alimentaires avaient pourtant rapporté plus de 82 milliards d'euros à la France, devant l'aéronautique, les véhicules et équipements et la chimie.   Que s’est-il donc passé pour qu’on craigne aujourd'hui une balance commerciale déficitaire ?

Parmi les causes de cette perte de vitesse de l’agriculture française, il faut bien sûr rappeler les changements d'équilibre politiques et économiques mondiaux.
L’export est vital pour certaines filières comme la filière porcine qui exporte beaucoup vers la Chine, les Chinois étant friands de morceaux (oreilles, groin...) qu’on ne consomme plus en France. Même chose pour les céréales qui, à 50%, sont exportées.


Une production française en perte de vitesse ?

Quand l’Algérie s’est détournée progressivement du blé français sur fond de brouille diplomatique persistante  autour des expulsions de sans-papiers et des réparations et excuses pour la période coloniale, les exportations de blé se sont brutalement contractées.

Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à Agro-Paris Tech, invité de France culture le 26 septembre dernier, rappelle que  les marchés agricoles sont, par nature,  volatils.

“Parmi les causes transversales, il y a effectivement la situation du commerce international, avec de fortes tensions en ce moment, donc on peut parler des droits de douane imposés par Trump. Il y a évidemment l'accord Mercosur ou encore la tension avec la Chine en ce moment ; là c'est plutôt particulier au porc. La Chine accuse l'Union européenne de dumping sur le porc et a, à titre provisoire, mis des droits de douane importants. Il y a aussi évidemment le bouleversement climatique. On va de plus en plus avoir des fluctuations sur les rendements agricoles puisqu'on a des événements climatiques qui deviennent plus extrêmes.", expliquait-il.

Un autre autre facteur intervient dans cette perte de parts de marché. La France n’a pas anticipé une concurrence intra-européenne de pays comme l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne ou encore l’Allemagne. De ce fait,  elle perd aujourd’hui des parts de marché au sein de l’Union européenne. En 2023, l’Hexagone a même été devancé par l’Espagne en matière d’exportations vers les marchés européens.

Si l’on s’intéresse uniquement aux échanges commerciaux de la France avec les autres pays de l’Union européenne, la balance commerciale agricole française est déficitaire, depuis 2015, comme l'expliquent une note de FranceAgriMer et un rapport du Sénat de 2022. 

Plus encore, la première édition de l’Observatoire des exportations alimentaires, parue en novembre dernier, n’hésite pas à parler de “déclin commercial”. La balance commerciale agricole s’effondre parce qu’elle croît moins vite que celle de ses voisins, explique l’Observatoire. À l’échelle des vingt-sept pays européens, l’Union européenne a accru ses ventes de 61 % mais la France n’a augmenté les siennes que de 43 % en valeur, alors que dans le même temps la  Pologne affiche + 147 % et l’Italie + 89 %.

La France produit-elle moins? 

Selon Eurostat, entre 2009 et 2024, le revenu réel agricole par unité de travail (mesure de la productivité) a augmenté de 93,6 % au sein de l’Union européenne, soit une hausse moyenne de 4,5 % par an. Dans le même temps, ce revenu baisse en France de plus de 19%. Selon l’Institut de recherches économiques et fiscales, une réglementation trop lourde handicape les producteurs qui ne peuvent être compétitifs face à des pays aux législations plus souples.

L’association Terre de liens insistait, en février 2025, dans un rapport, sur la perte d’autonomie alimentaire de la France, qui importe l’équivalent de la production de 10 millions d’hectares de terres, la surface de l'Islande, pour son alimentation. 

L’association souligne l’effet vicieux de certains accords de libre-échange en prenant l’exemple du lait. La société Lactalis réduit sa collecte de lait de 9 % en France, abandonnant plusieurs centaines d'éleveurs laitiers, mais est prête à acheter le lait en poudre néo-zélandais, dont l'importation est facilitée par un récent accord de libre-échange.

“Manger est un acte citoyen”


Pour tenter d'inverser la tendance, le gouvernement a lancé le 8 décembre 2025 les "conférences de la souveraineté alimentaire "afin d'établir une stratégie agricole nationale pour les dix prochaines années.

La première conférence est intitulée "Grand réveil alimentaire". 

Aujourd'hui, la France importe en effet la moitié des fruits, des légumes et du poulet qu'elle consomme. 60 % de la viande ovine et 25 % du bœuf consommé dans l'Hexagone proviennent également de l'étranger.

La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard a tenu un discours aux accents nationalistes, en appelant au "réveil des Français" car "Manger est devenu un acte citoyen", a-t-elle assuré sur BFM TV.

Ce grand raout aux allures de plan communication parisien n’a pas séduit les syndicats agricoles qui ont, pour certains, boudé l’événement.

La Coordination rurale, deuxième syndicat du secteur était absente comme la FNSEA. Selon la coordination, "le ministère ne répond pas aux attentes actuelles des agriculteurs" qui sont "empêchés de produire" à cause de contraintes trop fortes.

Et tous ont rappelé à la ministre et au gouvernement les nombreux accords de libre-échange qui prennent les parts de marchés des producteurs français au quotidien. Ils dénoncent ce qu’ils appellent le blanc-seing à la révision de l'accord UE-Maroc proposée par la Commission européenne pour la filière fruits et légumes ; les accords UE-Mercosur, UE-Ukraine et UE-Mexique ou encore  l'accord UE-Nouvelle Zélande concernant la filière ovine.