Des églises à ChatGPT, Israël investit des millions de dollars pour influencer l’opinion américaine

Des stars hollywoodiennes aux stars du sport, des évangélistes à ChatGPT, Israël déploie une vaste stratégie d’influence numérique aux États-Unis, mêlant campagnes médiatiques et opérations ciblées dans les églises afin de redorer son image.

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Israël a signé des contrats de plusieurs millions de dollars avec des sociétés américaines spécialisées dans le marketing politique aux Etats-Unis

Des documents officiels ont révélé que le gouvernement israélien a signé ces derniers mois une série de contrats de plusieurs millions de dollars avec des sociétés américaines spécialisées dans le marketing politique et les relations publiques, dans le but de redorer son image auprès de l’opinion publique américaine après une forte chute de soutien — y compris dans les cercles conservateurs.

Selon une enquête de Haaretz, les ministères israéliens des Affaires étrangères et du Tourisme, via le Bureau gouvernemental de la publicité, ont conclu plusieurs accords avec des entreprises américaines pour “promouvoir l’image d’Israël et combattre l’antisémitisme”.

Les projets sont financés par l’intermédiaire de la société allemande Havas Media, filiale du groupe publicitaire international Havas, qui agit comme intermédiaire exécutif. Les documents indiquent qu’Israël a versé plus de 100 millions de dollars par ce canal depuis 2018 pour promouvoir et financer des campagnes médiatiques aux États-Unis.

Contrat avec l’ancien directeur de campagne de Trump

Le plus important de ces contrats a été signé en août avec Clock Tower X, propriété de Brad Parscale, ancien directeur de la campagne numérique de Donald Trump lors des élections de 2016 et 2020. 

L’accord de 6 millions de dollars sur quatre mois prévoit des “services de conseil stratégique, de planification et la mise en œuvre d’une campagne globale aux États-Unis pour combattre l’antisémitisme”.

Selon les détails déposés auprès du département de la Justice américain, l’entreprise doit produire “au moins 100 contenus principaux par mois” — vidéos, clips audio, visuels et textes — ainsi que “5 000 déclinaisons” mensuelles, visant 50 millions de vues par mois.

Environ 80 % du contenu est destiné aux jeunes Américains sur TikTok, Instagram et YouTube.

Ciblage du public chrétien conservateur

Haaretz indique qu’une grande partie des messages de la campagne est diffusée par le Salem Media Network, un conglomérat médiatique chrétien conservateur qui possède plus de 200 stations de radio et sites web aux États-Unis. Parscale a d’ailleurs été nommé cette année directeur de la stratégie du réseau.

Bien que le ciblage des audiences chrétiennes soit inhabituel, des enquêtes du Pew Research Center menées entre 2022 et 2025 montrent une forte baisse du soutien à Israël parmi les conservateurs américains: les opinions négatives sont passées de 42 % en 2022 à 53 % en 2025, y compris chez les républicains de moins de 50 ans.

Chez les jeunes démocrates, les opinions négatives atteignent 71 %, contre 62 % trois ans plus tôt, signe d’un fossé croissant vis-à-vis d’Israël, même au sein de la base conservatrice traditionnellement pro-israélienne.

Un rapport de 2024 du Centre d’études des États-Unis (CSUS) de l’Université de Tel-Aviv a relevé la même tendance chez les jeunes évangéliques, devenus plus critiques d’Israël, phénomène attribué aux images de destruction à Gaza et au déclin de l’efficacité de la communication israélienne traditionnelle.

Influencer les fidèles à l’intérieur des églises

Une autre campagne, financée par le ministère israélien des Affaires étrangères, a été menée via Show Faith by Works, propriété du consultant républicain et militant évangélique Chad Schnitzger.

Dotée d’un budget de plus de 3 millions de dollars, elle visait à “sensibiliser les chrétiens” contre ce qu’elle décrivait comme le “soutien palestinien au terrorisme”, en ciblant principalement “les églises et organisations chrétiennes de l’Ouest des États-Unis”.

Les documents montrent l’utilisation de la technologie de géorepérage (geofencing) — la délimitation numérique de périmètres autour d’églises et d’universités chrétiennes en Californie, en Arizona, au Nevada et au Colorado — pour suivre les fidèles et leur diffuser ensuite des publicités ciblées.

Le public visé comptait 8 millions de pratiquants et 4 millions d’étudiants chrétiens.

Célébrités hollywoodiennes et “l’expérience du 7 octobre”

Les brouillons de la campagne mentionnent également comme partenaires potentiels des stars hollywoodiennes ou du monde du sport comme Chris Pratt, Jon Voight, Tim Tebow et Stephen Curry, sans qu’il soit clair s’ils ont été effectivement contactés.

Le projet prévoyait aussi la création de “supports éducatifs” pour les pasteurs et l’organisation d’une exposition itinérante en réalité virtuelle, intitulée “The October 7 Experience”, destinée aux églises et universités.

Influence sur les résultats de ChatGPT

Une clause notable du contrat avec Clock Tower X évoque une “opération sur les moteurs de recherche et le langage”, visant non seulement à orienter les résultats sur les moteurs de recherche classiques, mais aussi à influencer “les réponses conversationnelles sur ChatGPT et les plateformes d’IA comme Claude”, en modulant les formulations liées à Israël.

Selon Haaretz, il s’agirait de la première tentative connue d’un État pour influencer les systèmes conversationnels d’IA et façonner leurs récits politiques.

“Projet Esther”: communication par influenceurs

Parallèlement, le gouvernement israélien a signé un autre contrat avec Bridges Partners, dirigé par les consultants Yair Levy et Uri Steinberg, anciens responsables du ministère israélien du Tourisme.

D’un montant d’environ 1 million de dollars, il vise à “renforcer les échanges culturels entre les États-Unis et Israël par du contenu produit par des influenceurs”.

Baptisée “Projet Esther”, l’initiative emploie jusqu’à 20 influenceurs pour publier 30 contenus mensuels sur Instagram, TikTok, YouTube et X (Twitter), avec des cachets allant de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Les documents mentionnent qu’un des bénéficiaires est un conseiller en communication ayant travaillé pour Benjamin Netanyahu.

Le nom du projet fait écho à un plan similaire lancé par la Heritage Foundation, un think tank conservateur de Washington, également intitulé “Project Esther”, présenté comme une “stratégie nationale pour combattre l’antisémitisme”, mais critiqué pour avoir cherché à criminaliser l’activisme pro-palestinien sur les campus américains.

“Salle de guerre technologique” et propagande pilotée par IA

Selon Haaretz, ces contrats s’inscrivent dans une stratégie israélienne plus large visant à mobiliser l’intelligence artificielle dans les opérations d’influence.

Des documents internes mentionnent un plan baptisé Projet Max, élaboré dans le cadre de la division “Voices of Israel” du ministère des Affaires de la diaspora, destiné à “combattre la délégitimation d’Israël” grâce à l’IA et à l’analyse des mégadonnées.

Ce plan prévoit la mise en place d’une “salle de guerre technologique” équipée de systèmes de surveillance, de publication et d’activation combinant influenceurs humains et robots automatisés programmés pour produire de la propagande pro-israélienne.

Haaretz précise que les premières tentatives de lancement de ces bots avaient échoué, générant des contenus maladroits ou contradictoires, mais que les efforts actuels témoignent d’une stratégie de propagande numérique beaucoup plus sophistiquée, intégrant outils d’IA, influenceurs et campagnes médiatiques sponsorisées.