La France gangrenée par le narcotrafic
Pour Gérald Darmanin, le narcotrafic est une menace "au moins équivalente à celle du terrorisme". Après l’exécution de Mehdi Kessaci, les ministres de l’Intérieur et de la Justice étaient à Marseille jeudi.
La France est sous le choc de l'exécution, le 13 novembre, de Mehdi, 20 ans, un jeune homme dont le seul tort semble d’être le frère d’Amine Kessaci, fondateur d’une association de lutte contre le narcotrafic.
La justice étudie la piste d'"un crime d'intimidation" visant son frère Amine Kessaci, militant écologiste très engagé dans la lutte contre le narcotrafic. Une marche blanche sera organisée ce samedi à 15h00 à Marseille et de nombreux politiques nationaux feront le déplacement.
Ce fait divers interroge sur l’efficacité de la lutte contre le narcotrafic en France. Lors de leur visite conjointe à Marseille, les ministres de la Justice et de l’Intérieur ont donné le sentiment d’être un peu dépassés par la situation même si ils l'ont répété la lutte est engagée et porte ses fruits.
La France s’est dotée d’une loi narcotrafic en juin 2025 pour permettre de lutter contre le blanchiment d’argent, mieux coordonner les opérations de police dans toute la France, accélerer les procédures judiciaires avec un parquet spécialisé, le Pnaco, mais l’ancien ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, n’hésitait pas à parler de “tsunami blanc” pour décrire l’état du trafic de drogue en France en 2024.
Jeudi, Eric Piolle, le maire de Grenoble, semblait tout aussi pessimiste lors de son interview sur la chaîne parlementaire. “La réalité c’est que nous sommes en échec, la société française est en échec, les ministres de l’intérieur successifs sont en échec.” Selon l’élu grenoblois, les stratégies de fermeté et de répression ne fonctionnent pas et il s’est s’inquiété de voir de plus en plus de jeunes fracassés par le trafic.
Les chiffres semblent donner raison aux deux élus. Tour d’horizon en trois points.
Le trafic est en expansion
Le trafic générerait un chiffre d'affaires de plus de 7 milliards d'euros par an en France, selon la Direction générale de la police nationale (DGPN). Selon les chiffres de l’OFAST (office anti-stupéfiants), le trafic de drogue est tenu en France par moins de 100 grands importateurs. La distribution aux quatre coins du pays serait ensuite assurée par environ 5 000 chefs de réseau et pour vendre la marchandise, 200 000 personnes environ seraient utilisées.
8 communes sur dix sont concernées, selon un rapport de la Cour des comptes de septembre 2024 et même les villes moyennes, surtout les villes universitaires, voire les communes rurales, sont touchées.
Marseille, Paris, Toulouse, Lyon et Grenoble sont les villes les plus impactées au regard du nombre d’arrestations liées à la drogue.
Mais la ville de Saint-Denis vient en tête (93), suivie par Toulon, Besançon, Marseille, et Lille pour ce qui est du taux de mis en cause pour 1000 habitants, .
Un couloir de la drogue se dessine le long de l’autoroute A7 vers le nord de la France et la Belgique entre les Bouches-du-Rhône, le Rhône et l'Isère.
Le marché de la drogue se développe en fait le long des frontières et le long des routes qu’elle emprunte pour traverser la France. Le couloir rhodanien, région située de part et d'autre du fleuve Rhône, a toujours été considéré comme une sorte d’autoroute par les logisticiens des stupéfiants.
Le trafic passe par le port du Havre et le port de Marseille, portes d'entrée majeures de la cocaïne en France. Le cannabis et la cocaïne entrent en France aussi par la frontière espagnole et par la frontière belge.
Mais face à la pression de la police, les trafiquants se tournent vers des ports plus petits comme Dunkerque, Rouen, Montoir-de-Bretagne.
La répression est en hausse
Un total de 53,5 tonnes de cocaïne ont été saisies par les autorités françaises en 2024, soit une augmentation de 130% comparé à 2023
(chiffre ministère de l’Intérieur de janvier 2025), alors que les mises en cause ont augmenté de 6%. En septembre 2025, 70 tonnes de cocaïne avaient déjà été saisis.
La France multiplie les opérations contre le narcotrafic depuis deux années avec une loi narcotrafic votée en mars 2025 qui prévoit la création d’un parquet national anti criminalité organisée (Pnaco) pour 2026, des opérations “place nette” sur les points de deal et enfin un dispositif appelé “Villes de sécurité renforcée” dans 25 villes.
Une violence aussi en hausse
En 2024, le trafic de drogue a entraîné la mort de 110 personnes et fait 341 blessés, selon le ministère de l’Intérieur, avec notamment une guerre des territoires à Rennes, en Bretagne.
Selon la radio Europe 1, 500 actes d’intimidation ont été recensés depuis le début de l’année en France, soit une hausse de 34% par rapport à 2024.
Le nombre de blessés par arme a d'ailleurs augmenté de 39% depuis le début de l’année 2025. Une autre hausse est encore plus forte, celle des tirs sur les bâtiments : +59%.
Le phénomène touche d’autres pays européen. Ainsi, cette année, la Belgique a enregistré 78 fusillades liées au trafic de drogue. Cette semaine 18 perquisitions et 8 arrestations ont eu lieu dans le royaume. Les suspects ciblaient, selon la police, le procureur du Roi, Julien Moinil, qui a fait de la lutte contre le trafic de drogue une de ses priorités.
Le magistrat a mis en place une collaboration directe avec la police et les magistrats de Marseille.
La Belgique est une des plaques tournantes du trafic de drogue en Europe en raison notamment de la présence du port d’Anvers (Nord), une des principales portes d’entrée sur le continent de la cocaïne produite en Amérique du Sud.