Médias publics versus médias Bolloré, le milliardaire est-il dangereux ?
Radio France et France Télévisions ont assigné en justice CNews, Europe 1 et le Journal du Dimanche pour "dénigrement". Des médias de Vincent Bolloré, breton à la tête d’un empire qui se permet d’influer sur le débat public.
Radio France et France Télévisions ont assigné en justice les médias CNews, Europe 1 et Le JDD, pour "dénigrement"auprès du tribunal des affaires économiques. Depuis des semaines, les médias du groupe Bolloré accusent l'audiovisuel public de partialité.
L’affaire Cohen-Legrand est le point de départ de cette campagne anti-service public. Les deux journalistes ont été enregistrés lors d’une discussion avec des cadres du PS cet été et auraient, selon les médias Bollloré, clairement indiqué soutenir la gauche. Ces accusations ont été relayés et déclinées pendant des jours.
Les deux journalistes dénoncent des propos tronqués et hors contexte. L’affaire est d’autant plus délicate que le gouvernement prépare une réforme de l’audiovisuel public avec des coupes budgétaires à la clé.
France Télévisions et Radio France ont déjà saisi l'Arcom, le régulateur de l'audiovisuel, auprès duquel elles ont dénoncé "une campagne de dénigrement". "La galaxie médiatique de Vincent Bolloré veut la peau de l'audiovisuel public, réclame sa privatisation", avait dénoncé Delphine Ernotte Cunci, la présidente de France Télévisions, dans une interview au journal le Monde mi-septembre.
Les accusations de parti-pris portées contre le service public servent en effet les politiques de droite qui estiment qu’il faut privatiser les médias publics comme Radio France ou France Télévision.
Marine Le Pen, la cheffe des députés du Rassemblement national, appelle régulièrement à privatiser Radio France et France Télévisions, tandis que le député Eric Ciotti, patron de l'UDR alliée au Rassemblement national, a réclamé "une commission d’enquête sur la neutralité de l’audiovisuel public".
Une galaxie médiatique difficile à contrer
Ces accusations de partialité venant de médias qui sont devenus des vitrines de la droite et de l’extrême-droite pourraient prêter à sourire mais les mots portent loin car l’empire médiatique de Vincent Bolloré est une caisse de résonance comme le paysage médiatique français n’en a jamais connue.
En d’autres termes, l’empire Bolloré structure le débat public car il détient une cinquantaine de médias, de télévisions, de magazines, et de sites d’information. La ligne éditoriale de ces médias depuis leur rachat par l’influent homme d’affaires a viré vers un discours anti-migrant, anti-islam, et une obsession sur la menace de l’Islam pour la culture européenne.
Une empire construit en 20 ans
Tout commence en 2002 avec l’arrivée de la TNT. Vincent Bolloré obtient une fréquence et crée C8, une chaîne gratuite de divertissements où le tonitruant animateur Hanouna ferra florès au détriment de la déontologie ou de la simple honnêteté intellectuelle. A tel point que l’Arcom lui retire sa fréquence en 2024.
Puis, le milliardaire entre en 2011 au capital de Vivendi qui détient Canal plus. Petit à petit, il rachète des actions et en détient près de 30% en 2023. En 2020, il prend ainsi le contrôle complet de Lagardère, qui détient notamment le premier éditeur français, Hachette, et des médias comme Europe 1, Le Journal du dimanche (JDD) et Paris Match. Il rachète dans le même temps Prisma média et vingt magazines s’ajoutent à son empire média (Gala, Femme actuelle, et le magazine économique Capital).
Un empire au service d’idées conservatrices
Le propriétaire de Canal plus s’est construit un empire médiatique, et le milliardaire y voit, assure-t-il, un intérêt économique. En 2022 devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, il expliquait ainsi sa boulimie d’achats : “L’industrie des médias est la deuxième plus rentable au monde, derrière le luxe.”
La déclaration est surprenante lorsqu’on sait que la plupart de ces médias sont déficitaires. La stratégie a ainsi d’autres desseins et il est devenu évident au fil des années que Vincent Bolloré milite pour une France conservatrice, catholique, blanche. Il utilise ses titres pour faire la promotion de cette France “souhaitée”
Le très catholique homme d’affaires a par exemple doté CNews d’une émission religieuse où le journaliste fait la promotion du culte catholique. Les médias Bolloré font aussi la communication de personnages politiques comme Sarah Knafo du parti Reconquête, parti ultra minoritaire à l’extrême droite. La trentenaire, présentée comme la femme politique dont les Français ont besoin, a ainsi “table ouverte” sur la chaîne CNews.
Le milliardaire est connu pour ne pas être un actionnaire passif. Bien au contraire, il a, par exemple, imposé un rédacteur en chef proche de l’extrême-droite lors de son rachat du JDD. Les Unes de Paris Match sont parfois imposées par le richissime breton qui n’hésite pas à décrocher son téléphone pour remettre les impétrants dans le droit chemin.
La petite chaîne CNews, devenue la plus regardée par les Français, est bel et bien en position de force pour façonner les débats autour des élections municipales de 2026 et présidentielle de 2027.
Ce mercredi sur CNews, l’est de Londres est décrit comme “gouverné par la charia” et l’éditorialiste économique présente “le scandale de la hausse” de la taxe foncière pour l’année prochaine. En fait, la mise à jour des données que possèdent les impôts va mécaniquement entraîner une hausse de l’imposition. La chaîne n’hésite donc pas à forcer le trait et à tordre un peu la réalité.
Vincent Bolloré avance aussi ses pions dans l’édition et la culture. Propriétaire de la chaîne de librairies Relay qui appartenait à Lagardère, Il est ainsi en mesure d’imposer dans les kiosques Relay des auteurs comme Jordan Bardella, le président du Rassemblement national et Philippe de Villiers, le créateur du Puy du Fou et ancien ministre de droite obnubilé par la perte de puissance de la France.
Les deux auteurs sont aujourd’hui placés en tête de gondole dans les gares, les stations de métro, les aéroports et les villes.
Si le titre du livre de Philippe de Villiers veut choquer avec son “populicide”, on pourrait conclure que l’empire Bolloré est “liberticide” en cela qu’il empêche la diversité des opinions.