En Libye, des artisans font revivre de vieux Corans pour le ramadan
Restaurateur bénévole de Corans anciens ou abîmés, Khaled al-Drebi a du pain sur la planche. Son atelier à Tripoli connait, en ce début de ramadan, un afflux de clients sollicitant son savoir-faire.
Libye: course contre la montre des restaurateurs de corans pour le ramadan (AFP)
« Acheter un Coran avant le début du mois de ramadan était une tradition » mais les Libyens, très attentifs à leurs dépenses sur fond de profonde crise économique, « préfèrent restaurer leurs livres plutôt qu'acheter du neuf », explique à l'AFP M. Drebi, 54 ans, dans son atelier de la rue Mizran à Tripoli.

De surcroît, depuis que l'Etat a « interrompu l'impression des Corans en Libye », les prix ont grimpé.

Il faut désormais une vingtaine d'euros, selon la qualité de la reliure, pour un Coran de taille moyenne, dit-il. L'atelier ne fait payer que quelques euros pour le matériel utilisé dans la restauration, la main-d'oeuvre étant gratuite.

Le ramadan est l'une des périodes les plus mystiques de l'année, consacrée à la prière et à la lecture du livre saint de l'islam. Et cette année, avec la levée des restrictions liées à la pandémie de Covid-19, les mosquées prévoient un afflux de fidèles, tapis de prière et Coran sous le bras.

Juste avant le mois sacré en avril cette année, il y a foule dans l'atelier de la rue Mizran, l'un des plus célèbres de Libye.

Au fond de la pièce, Abdel Razzaq al-Aroussi, la soixantaine, en bleu de travail, répertorie les Corans selon leur degré de détérioration et la durée de l'intervention nécessaire qui « variera entre une ou plusieurs heures ».

« Bonheur indéfinissable »
« Les Corans très endommagés (...) doivent être défaits, restaurés puis reliés », un processus minutieux qui nécessite du « temps et de la concentration », explique ce technicien, penché sur son ouvrage, entouré de centaines de Corans entassés sur des étagères qui peinent à les supporter.
« Les travaux de restauration et de reliure nécessitent l'intervention de plusieurs artisans », chacun selon sa spécialité, explique Mabrouk Al-Amin, un autre restaurateur.
« Travailler avec le Livre de Dieu est très agréable... on ne s'en lasse pas malgré l'ampleur de la tâche », fait remarquer ce quinquagénaire qui parle d'un « bonheur indéfinissable ».

Certains clients leur confient de précieux ouvrages transmis de génération en génération, malmenés par le temps.

Il ne s'agit pas seulement de réparer mais d'établir un lien privilégié avec des clients souhaitant préserver un Coran qui véhicule des souvenirs et « porte encore l'odeur d'un grand-père, d'un père ou d'une mère », confie M. Drebi qui, malgré le succès de son atelier, travaille bénévolement et dépend uniquement de dons de gens charitables ».

Aux yeux de ces artisans passionnés, c'est davantage un « travail de mémoire » qu'un simple acte de générosité.

De plus en plus de femmes

Une nouvelle génération a rejoint l'atelier, apportant de « nouvelles techniques » utilisant l'ordinateur pour le « design graphique et des logiciels comme Photoshop pour reproduire les pages manquantes d'un Coran », souligne M. Al-Amin.

Depuis la création de l'atelier Mizran en 2008, près d'un demi-million d'exemplaires ont été restaurés et plus de 1.500 stagiaires, essentiellement des hommes, s'y sont formés.

Mais de plus en plus de femmes attirées par ce métier qui allie savoir-faire et spiritualité viennent l'apprendre avant de devenir formatrices à leur tour.

Elles apprécient d'exercer cette activité dans le confort de leurs foyers ou dans des ateliers exclusivement féminins comme celui géré par Khadija Mahmoud à Zaouia (45 km à l'ouest de Tripoli).

« Une dame exceptionnelle qui fait un travail exceptionnel », dit d'elle M. Aroussi.

Retraitée de l'éducation nationale, formée à l'atelier Mizran, elle est très aimée de ses élèves, surtout des femmes non-voyantes qui retrouvent ainsi un sens à leur vie.

« La majorité des bénévoles sont des retraitées qui aiment ces moments consacrés au Coran » et se réunir « entre femmes pour se sentir plus à l'aise », confie à l'AFP Mme Mahmoud, dans son atelier aux tables de couleur parme.
AFP