Tunisie : la grève de la centrale syndicale paralyse le pays
Vols annulés, transports immobilisés et bureaux de poste fermés : une grève à l'appel de la centrale syndicale a paralysé le secteur public en Tunisie, accentuant la pression sur le président Saïed déjà confronté à des crises politique et financière.
L'UGTT affirme que son action "ne revêt aucun caractère politique" (AA)

La grève de 24 heures, à l'appel de la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT) et qui semblait largement observée dans la matinée, concerne théoriquement quelque 3 millions de salariés et devrait paralyser 159 entreprises étatiques.

Un important rassemblement syndical est prévu dans la matinée devant le siège de l'UGTT dans le centre de Tunis en présence de son secrétaire général Noureddine Taboubi.

Les vols au départ et à l'arrivée à l'aéroport international de Tunis ont été annulés car les personnels de la compagnie publique qui gère l'enceinte participe à la grève.

La compagnie Tunisair, elle aussi publique, a annoncé l'annulation de tous ses vols jeudi. Dans un communiqué, elle a informé les voyageurs détenteurs de billets qu'ils pouvaient modifier leur réservation sans frais ou se faire rembourser.

"Les personnels de l'Etablissement de la télévision tunisienne participent à la grève du secteur public", a annoncé la télévision publique dans un bandeau à l'écran.

Ses programmes pour la journée se limitent à des rediffusions.

"Revendications légitimes"

Dans un communiqué mercredi, l'UGTT a affirmé que les travailleurs du secteur public "mèneront cette grève pour défendre leurs droits économiques et sociaux après les tergiversations du gouvernement face à leurs revendications légitimes et la légèreté avec laquelle il a pris l'appel à la grève lancé le 31 mai".

Télécoms, services postaux, régies publiques de gaz, d'électricité et d'eau, et transports: la grève touche des vastes pans des services.

Elle entraîne aussi l'immobilisation des transports en commun (trains, tramways et bus).

Si l'UGTT affirme que son action ne revêt aucun caractère politique, la grève se déroule au moment où le président Kaïs Saïed, qui s'est arrogé les pleins pouvoirs il y a 11 mois, est sous le feu d'intenses critiques de l'opposition pour l'avoir exclue d'un dialogue national censé aboutir à une nouvelle Constitution qu'il doit soumettre à référendum le 25 juillet.

L'UGTT a décliné une invitation à participer à ce dialogue, estimant qu'il vise à "cautionner des conclusions décidées unilatéralement à l'avance et les faire passer par la force comme faits accomplis".

Cinq partis d'opposition ont apporté jeudi leur soutien à la grève de l'UGTT, faisant porter au gouvernement de M. Saïed la responsabilité de la dégradation de la situation économique.

"Échec collectif"

Face à une inflation galopante, l'UGTT réclame notamment des nouveaux accords salariaux pour "corriger le pouvoir d'achat" pour les années 2022 et 2023 ainsi que, rétroactivement, pour 2021.

La centrale syndicale exige aussi le retrait d'une circulaire gouvernementale de décembre 2021 qui interdit aux ministères de mener des discussions bilatérales sectorielles sans l'accord du chef du gouvernement.

Ses détracteurs ont beau l'accuser de ne pas tenir compte des énormes difficultés financières du pays, l'UGTT apparaît en position de force puisque le gouvernement a besoin de son soutien au programme de réformes qu'il a soumis au Fonds monétaire international (FMI) dans l'espoir d'obtenir un nouveau prêt.

Ce plan de réformes prévoit un gel de la masse salariale de la fonction publique, une réduction progressive de certaines subventions étatiques et une restructuration des entreprises d'Etat.

L'UGTT, qui a mis en garde le gouvernement contre toute "réforme douloureuse", demande en outre des "garanties" pour que les entreprises publiques, dont beaucoup de monopoles (office des céréales, électricité, carburants, phosphates, etc..), ne soient pas privatisées.

Acteur influent sur la scène politique depuis sa création en 1946, l'UGTT a reçu en 2015 avec trois autres organisations tunisiennes, le prix Nobel de la Paix pour sa contribution à la transition démocratique en Tunisie, berceau du Printemps arabe en 2011 mais où la démocratie vacille depuis le coup de force de M. Saïed.

"Cette grève est la culmination d'un échec collectif de dix gouvernements tunisiens successifs, de l'UGTT, du FMI et des partenaires internationaux de la Tunisie. La transition vers la démocratie n'a été accompagnée d'aucun changement dans la structure économique du pays", estime Fadhel Kaboub, professeur tunisien d'économie à l'université de Denison aux Etats-Unis.

AA