Liberté d’expression: la France veut espionner les journalistes
La France s’engage activement au sein de l’Union Européenne, aux côtés de l’Italie, la Grèce, Chypre, Malte, la Finlande et la Suède, pour autoriser l’espionnage des journalistes au nom de la "sécurité nationale".
Liberté d’expression: la France veut espionner les journalistes / Photo: Reuters (Reuters)

European Media Freedom Act

Depuis septembre 2022, le European Media Freedom Act, le projet de loi visant à garantir l'indépendance des médias au sein de l'Union européenne, est au cœur de longues discussions entre les Etats membres.

Le point central de la controverse réside dans l'article 4 du projet, traitant de la protection des sources journalistiques, considérée comme fondamentale pour la liberté de la presse.

L’article 4 du texte initial présenté le 16 septembre 2022 par la Commission européenne, interdit l’utilisation de logiciels espions contre les journalistes et les médias, sauf dans le cadre “d’enquêtes sur dix formes graves de criminalité” (terrorisme, viol, meurtre, etc).

Disclose qui se définit comme un “média d'investigation en accès libre et à but non lucratif” indique, dans un document interne au Conseil de l’UE datant du 21 octobre 2022, le gouvernement d’Elisabeth Borne a “refusé que les enjeux en matière de sécurité nationale ne soient traités dans le cadre d’une dérogation” et réclamé “une clause d’exclusion explicite” à l’interdiction de surveiller les journalistes.

“Sécurité nationale”

Ainsi, après les efforts fournis par la France, le 21 juin 2023, 25 États membres ont adopté une nouvelle version de la loi, qui, bien qu’interdisant la contrainte des journalistes à révéler leurs sources et l'espionnage de leurs appareils électroniques, accroît les pouvoirs des services de renseignement en permettant l'utilisation de logiciels espions dans le cadre d'enquêtes liées à 22 délits (le sabotage, la contrefaçon, la corruption ou encore l’atteinte à la propriété privée), mais aussi lorsque les États membres estiment que leur “sécurité nationale” est menacée.

Or, selon l’avocat Christophe Bigot, spécialiste du droit de la presse en France, “tout motif de sécurité nationale pourrait suffire pour poursuivre ou surveiller un journaliste. Cela pourrait être le cas, par exemple, à la suite d’un article sur un restaurant ne respectant pas le confinement et s’appuyant sur des sources anonymes”.

Il faut rappeler, que la journaliste d’investigation Arianne Lavrilleux, à l’origine de révélations sur la complicité de l’Etat français dans une “campagne d’exécutions arbitraires orchestrée par l’Egypte”, avait fait l’objet d’une détention en garde à vue les 19 et 20 septembre, dans le cadre d’une enquête ouverte par le parquet de Paris pour “compromission du secret de la défense nationale” et “révélation d’information permettant de découvrir l’identité d’agents de renseignement”.

Ultimes négociations le 15 décembre

Face aux risques de dérives, le Parlement européen a proposé le 3 octobre dernier, une version alternative de l'article 4, imposant des conditions strictes pour la surveillance des journalistes.

Cependant, selon un document confidentiel obtenu par Disclose, l’on apprend que la France et les six autres États susmentionnés continuent à faire pression sur le Parlement afin de maintenir la dérogation liée à la sécurité nationale dans l’article 4, qualifiant celle-ci de “ligne rouge” et déclarant être “peu flexible” à sa suppression.

Dans une séance de négociations du 29 novembre dernier, entre le Conseil de l’UE, le Parlement et la Commission européenne, la question de la modification de l’article 4 a été repoussée à une ultime séance qui aura lieu le 15 décembre. La France envisage de défendre lors de cette séance sa position afin de continuer à surveiller les journalistes.

TRT Francais