Le coût de porter un keffieh en France : arrestation, fouille à nu, déportation
Farid Hamrat, britanno-algérien, s'est retrouvé du mauvais côté des préjugés anti-musulmans et anti-palestiniens de la police française - pour avoir commis le "crime" de porter un keffieh.
Le coût de porter un keffieh en France : arrestation, fouille à nu, déportation (Others)
Par Kübra Solmaz

Qu'est-ce qu'un keffieh exactement ? Est-ce simplement une écharpe traditionnelle du Moyen-Orient, un symbole de la résistance palestinienne, une menace perçue pour les communautés juives, ou une cible évidente pour les crimes haineux ?

Selon le contexte, le port d'un keffieh peut signifier tout cela.

En France, par exemple, le port de ce vêtement culturel est considéré par le gouvernement comme une menace potentielle pour ses citoyens juifs.

Farid Hamrat, un enseignant de 48 ans et passionné de permaculture, vient d’en faire l’amère expérience.

Pour Farid, le keffieh est un accessoire quotidien, porté bien avant le début de l'assaut israélien contre Gaza, le 7 octobre. (Others)

Il portait son keffieh lors d'un voyage à Paris le mois dernier, où il s’était porté volontaire pour participer à au Salon Marjolaine de l’agriculture biologique.

Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

Le lendemain de son arrivée à Paris, alors qu’il quittait son logement, son keffieh autour du cou, et s’apprêtait à arrêter un taxi pour se rendre au lieu de l'exposition, deux policiers lourdement armés l’ont approché.

"Au moindre faux geste, ils m'auraient... ils m'auraient abattu", se souvient Farid dans une interview avec TRT World.

Après l’avoir fouillé à la recherche d’armes, les policiers ont demandé sa pièce d'identité et son adresse, puis, sans explication, l'ont menotté et escorté au commissariat le plus proche.

C'était le début d'une longue épreuve pour Farid.

Il a été arrêté la même nuit et soumis à une humiliante fouille au corps. Le lendemain, alors qu'il devait être libéré, il a été transféré dans un centre de rétention en attendant son procès et une éventuelle expulsion, une action que son avocat considère comme manifestement illégale.

Il a passé trois nuits de plus en détention au Centre de Rétention Administrative à Palaiseau, manquant son vol prévu le 14 novembre.

Plus tard, il a appris qu'il avait été signalé par deux citoyens juifs français qui le décrivaient comme étant "étrangement habillé", ce qui a entraîné son arrestation pour "menace à l'ordre public".

"Il m'a fallu des heures, voire une journée ou deux, pour comprendre ce qu'ils entendaient par 'étrangement habillé' parce que j'étais habillé normalement, comme le ferait n'importe quel Français. Mais j'avais ça (le keffieh)", ajoute-t-il.

Avec son passeport confisqué, Farid est maintenant bloqué en France pour une durée indéterminée.

La position de la France sur la Palestine

Ainsi, la question se pose : quand le port d'un keffieh est-il devenu une "menace à l'ordre public" ?

La réponse réside dans la position du gouvernement français sur la question israélo-palestinienne.

Depuis le début de l'assaut israélien sur Gaza le 7 octobre, la résistance palestinienne contre l'occupation israélienne et le soutien croissant à la cause palestinienne à l'échelle mondiale ont été largement débatus dans la société française à travers le prisme de l'antisémitisme.

"En France, l'antisémitisme est utilisé pour dépolitiser le conflit, le présentant comme si les Palestiniens combattaient le régime sioniste par haine religieuse", explique Rayan Freschi, juriste en droit en France et chercheur au sein de l'organisation britannique des droits de l'homme CAGE International.

"Après le 7 octobre, la plupart des partis politiques, y compris de l'extrême droite et du gouvernement, ont défilé dans les rues de Paris 'pour la République et contre l'antisémitisme', une formule utilisée pour dépolitiser le conflit en Palestine", ajoute-t-il.

Tout en autorisant une marche contre l'antisémitisme, le gouvernement français a interdit toutes les manifestations pro-palestiniennes, le ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin, justifiant cette décision en invoquant des préoccupations concernant l'ordre public.

Darmanin a également exhorté la police à protéger les lieux fréquentés par les Juifs français, tels que les synagogues et les écoles, et a déclaré que tout étranger se livrant à des actes antisémites sur le sol français serait "immédiatement expulsé".

Le même gouvernement français semble fermer les yeux lorsqu'il s'agit de protéger une autre communauté religieuse, à savoir les musulmans, allant jusqu'à les cibler directement.

En novembre, le Conseil français du culte musulman a signalé avoir reçu 42 lettres contenant des menaces ou des insultes. Les mosquées n’ont pas été épargnées, avec 17 d'entre elles recevant des lettres de menace et 14 vandalisées depuis le 7 octobre.

Cependant, ces incidents ont largement été passés sous silence, déplore le vice-président du conseil, Abdallah Zekri, qui a cité une réticence des musulmans à déposer des plaintes.

"La grande majorité des musulmans ne déposent pas plainte lorsqu'ils sont victimes de tels actes. Même les responsables des mosquées ne veulent pas. Ils ne veulent pas passer deux heures ou plus dans un commissariat pour déposer une plainte qui, au final, sera souvent rejetée", a expliqué Zekri.

La communauté musulmane française semble manquer de confiance en la capacité de la police française à protéger les citoyens musulmans, car la police elle-même est perçue comme complice des attitudes racistes et islamophobes qui les visent..

Ce sentiment s'est particulièrement manifesté dans l’assassinat brutal policier du jeune français d’origine algérienne de 16 ans, Nahel Merzouk, exposant l'histoire profondément enracinée de l'islamophobie systémique et du racisme au sein de la police française.

Le cas détaillé de Farid

Les détails éprouvants du cas de Farid illustrent vivement les actions injustes et illégales entreprises par la police française, transformant son séjour à Paris en un cauchemar, uniquement en raison de son identité musulmane.

Farid a été initialement accusé de "regarder une synagogue". Cependant, le chef de la police a ensuite modifié l'accusation, affirmant désormais que Farid transportait un outil ressemblant à un couteau suisse, le classant comme un objet potentiellement dangereux.

Malgré l'explication de Farid sur l’utilité de cet outil au travail, les autorités ont décidé de le maintenir en détention pendant la nuit. Pendant sa nuit en garde à vue, il a subi une fouille à nu humiliante et a été photographié.

"Ils ont commencé à me demander de me déshabiller. Chaque fois qu'ils me demandaient d'enlever un vêtement, je priais pour que ce soit la dernière demande. Mon chapeau, mes lunettes, mon haut."

"Ensuite, ils m'ont laissé avec seulement mes sous-vêtements."

La police a également pris des photos de son corps sous différents angles, un processus que Farid a trouvé intensément humiliant.

Le lendemain matin, alors que la police française s'apprêtait à le libérer, un ordre supérieur de la "préfecture" régionale les a obligés - malgré les objections du chef de la police quant à son illégalité - à le transférer dans un centre de rétention pour être jugé.

L'avocat ajoute que cette action injuste l'a maintenu illégalement sur le sol français, contredisant les alliances entre le Royaume-Uni et la France qui permettent aux citoyens britanniques de séjourner sur le territoire français sans visa pendant trois mois.

Pendant son séjour à l'établissement, Farid a enduré une faim permanente, entraînant une perte de poids de 7 kilogrammes en quatre jours.

Ses appareils électroniques étant confisqués, il n'a pas pu informer ses étudiants et son entreprise d'enseignement, mettant son emploi en danger pendant sa période probatoire.

De plus, ses activités de permaculture font face à des obstacles financiers potentiels, car il n'a pas pu retourner à Amman pour préparer un projet connexe en décembre.

Le 16 novembre, Farid a comparu devant un juge au tribunal de grande instance d'Evry. Le juge a rapidement déterminé qu'il n'y avait aucune raison pour son arrestation ou sa détention. Il a été libéré le 17 novembre.

Cependant, les choses ont pris une tournure plus complexe alors qu'il approchait des étapes finales pour récupérer son passeport et quitter le pays.

Alors qu'il se dirigeait pour obtenir son passeport, son avocat lui a déconseillé, le mettant en garde : "Mon avocat a dit de ne pas le faire. Pourquoi ? Parce que si vous allez chercher votre passeport, ils vous feront signer un bout de papier indiquant que j'ai commis quelque chose de mal, quelque chose d'illégal ou de perturbateur pour l'ordre public, mais sans clarté."

C’est ainsi qu’il refuse de signer le document nécessaire à l’obtention de son passeport, optant pour la seule solution disponible : s'adresser au tribunal administratif. Cependant, une date d'audience doit encore être fixée.

"Le tribunal administratif, qui n'a compétence que sur l'obligation de quitter le pays, n'a pas encore rendu de décision. Nous n'avons pas encore reçu de date d'audience", indique son avocate Laure Berbe à TRT World.

"La situation est donc plutôt paradoxale : Hamrat, qui devait quitter la France il y a près d'un mois, est bloqué en France pendant que la procédure administrative se déroule."

Farid estime que la manière dont la police française l'a détenu et placé en garde à vue n'était ni juste ni légale. Il semble qu'ils cherchent à clore discrètement l'affaire sans attirer l'attention, ce qui est évident dans leur retard à fixer une date d'audience et leur insistance pour le pousser à signer le document requis pour son passeport.

"Ils veulent me garder ici sous pression financière parce que, comme la plupart des gens, j’ai un travail et une famille. Dans une telle situation, je devrais signer le document et quitter le pays. Mais je ne vais pas le faire. Je resterai aussi longtemps qu'ils le voudront."


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