Activisme climatique: quand l’urgence et l’inaction entraînent le vandalisme
Face aux conséquences du réchauffement climatique qui prennent de plus en plus d’ampleur partout dans le monde, les mouvements climatiques gagnent en radicalité pour interpeller à tout prix. Dernier phénomène: attaquer les œuvres d'arts.
Face à l’augmentation de ces actions-chocs, certains musées ont donc décidé d’augmenter leur sécurité (Reuters)

Le dernier rapport des experts climatiques de l'ONU (Giec) a mis en garde sur le peu de temps restant pour assurer un "avenir vivable" à l'humanité pendant que des centaines de milliers de personnes meurent chaque année des conséquences directes et indirectes du réchauffement climatique partout dans le monde. Alors que les rapports scientifiques et les enjeux sont clairs, les engagements des pays signataires de l'accord de Paris sont encore "très loin" de ce qu'il faudrait pour espérer tenir les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique selon l’ONU.

Choquer pour interpeller

L’activisme climatique peut-il être efficace sans être radical ? La question divise. Face à l’inaction des actions politiques et après plusieurs années de lutte à travers des pétitions, grève, manifestations, boycottages, luttes locales, certains militants revoient leur stratégie avec des actes radicaux dont des actes de sabotage et de désobéissance civile pour interpeller à tout prix face à l’urgence climatique.

La multiplication des attaques envers les œuvres artistiques pour sensibiliser le public prend une tournure de phénomène. "Qu’est-ce qui vaut plus, l’art ou la vie ?" Tout a commencé lorsqu'un homme a lancé une tarte sur la précieuse Joconde de Léonard de Vinci en criant "Il y a des gens qui détruisent la Terre... Tous les artistes, pensez à la Terre. C'est pourquoi j'ai fait ça. Pensez à la planète ."

Après cet incident, d’autres activistes ont commencé à reproduire l’action. De la soupe à la tomate sur la mythique peinture Les tournesols de Vincent Van Gogh, de la purée pour le tableau Meules de Claude Monet. Ils laissent pourtant tous un goût amer en bouche.

Pour Alice Canabate, chercheuse au Laboratoire de changement social et politique (LCSP) de l’université Denis-Diderot, "l’écologisme a toujours utilisé des modes d’action non conventionnels, y compris les formes les plus radicales". "Les mouvements actuels ne constituent donc pas une transformation, encore moins une rupture, avec leurs prédécesseurs. Plutôt une continuité, mais avec une montée en intensité très marquée" a-t-elle déclaré à Le Monde.

Le choix des tableaux ne relève également pas du hasard. Les militants choisissent ces tableaux très célèbres puisque les yeux sont déjà rivés sur ceux-ci, ils profitent de l'attention, des caméras de surveillance et des smartphones. Le but est d’utiliser la visibilité des tableaux pour en donner au réchauffement climatique.

"Les gens viennent dans les musées pour regarder des peintures, mais nous avons besoin qu'ils regardent plutôt la réalité de l'urgence climatique" se félicite Margaret Klein Salamon, directrice exécutive du Climate Emergency Fund.

Mission accomplie: les gestes choquent. Les vidéos buzz relayées sur les réseaux sociaux et par la presse provoquent des réactions vives et accroissent la popularité et le sensationnalisme du mouvement.

Une action contre-productive ?

Ce nouveau type de protestation vise en réalité les médias. "C’est l’espace médiatique qui est visé, l’effet boomerang : utiliser une cible par sa capacité à interpeller l’opinion publique, avec la volonté de surprendre, de provoquer une rupture de cadrage", explique Sylvie Ollitrault, chercheuse en sociologie du militantisme au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Le Monde.

Alors que pour les militants, cette stratégie est utilisée parce qu’ils ont épuisé tous les recours et que les autres mesures n'attirent plus l'attention, la plupart de ces actions sont accueillies avec agacement et colère. Si de nombreuses personnes estiment que ces actes sont injustes et injustifiés, les militants défendent ces actes "nécessaires", bien qu’ils soient "ridicules".

"Le climat mérite mieux que cette caricature imbécile", a lancé l’eurodéputé Yannick Jadot.

Il fait donc partie de ceux qui ne croient pas que cibler les œuvres d'art aide la cause de l'action climatique. Pour beaucoup d'internautes, il y a beaucoup de manières d’attirer l’attention sur les problèmes climatiques et celle-ci ne devrait pas être l’une d’elles.

"Quand on lui montre la lune, l’imbécile regarde le doigt"

Les militants utilisent la forme pour attirer sur le fond. Ils affirment ne pas cibler les œuvres d'art avec l'intention de causer des dommages mais pour sonner l’alarme sur les questions écologiques. Concrètement, les activistes ont plutôt attaqué les vitres de protection que les tableaux eux-mêmes. Aucune œuvre d’art n’a été abîmée, et ce volet n’est pas une coïncidence.

Phoebe Plummer, qui a saccagé le tableau de Van Gogh, admet qu’elle n'aurait pas attaqué le tableau si elle n’était pas sûre que l’œuvre était protégée. L'acte a été fait "le cœur lourd mais avec détermination", a déclaré pour sa part Letzte Generation, qui a jeté de la soupe sur l’œuvre de Claude Monet.

Face à l’augmentation de ces actions-chocs, certains musées ont donc décidé d’augmenter la sécurité comme au musée Autoworld et Bozar à Bruxelles.

Raté et cliché pour certains, remarquable et réussi pour d’autres, ce modèle d’activisme remplit malgré tout son cahier des charges : augmenter à tout prix la visibilité de la cause écologique.

TRT Francais