Des journalistes palestiniens, cibles de l'armée israélienne à Gaza / Photo: Reuters (Reuters)

Les journalistes couvrant le conflit en cours dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre dernier, gênent-ils Israël dans sa volonté de dérouler son récit des événements ?

Nombreux sont les journalistes qui se posent la question, au regard de l’intensité de l’hostilité ambiante. Anthony Bellanger, Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) est particulièrement préoccupé par les conditions de travail des journalistes dans l’enclave palestinienne.

“Les journalistes à Gaza font tout ce qu'ils peuvent pour remplir leur mission d'informer, regrette-t-il. Parfois, malheureusement au détriment de leur propre vie. On pleure aujourd'hui la mort de 35 journalistes palestiniens depuis le 7 octobre. 40 au total si on ajoute 4 Israéliens et un Libanais. L’étendue des dégâts est mise à jour régulièrement sur la page spéciale de la FIJ: https://www.ifj.org/war-in-gaza

Leurs conditions de travail sont excessivement difficiles, car ils manquent de tout : eau, nourriture, électricité, réseau Internet... Mais malgré tout, ils poursuivent leur travail.”

Dans la ligne de mire de l’armée

Les faits semblent accréditer la thèse selon laquelle les journalistes sont particulièrement visés. Le 3 novembre dernier, le bureau de l’Agence France Presse avait été pris pour cible par l’aviation israélienne. Les dégâts matériels sont importants, même si l’on ne signale aucune perte en vie humaine.

L’AFP a par la suite réagi par un communiqué condamnant fermement le bombardement de son bureau. “La localisation de celui-ci est connue de tous et a été rappelée à plusieurs reprises ces derniers jours”, a déclaré le PDG de l’AFP Fabrice Fries.

“Les conséquences d’un tel tir auraient été dévastatrices si l’équipe de l’AFP sur place n’avait pas évacué la ville “, a-t-il relevé. Aucun des huit membres du personnel ou collaborateurs permanents de l’AFP ne se trouvait en effet sur place. Tous ont été emmenés vers le sud de la bande de Gaza le 13 octobre, après l’ordre d’évacuation donné par l’armée israélienne aux civils vivant dans le nord de cette enclave.

Trois semaines après le bombardement du bureau de l’AFP, c’est Wael El-Dahdouh, correspondant d’Al-Jazeera dans la bande de Gaza, qui perdait son épouse et deux de ses enfants, victimes d’une frappe de l’aviation israélienne.

Pour Anthony Bellanger le Secrétaire général de la FIJ, les faits laissent peu de place au doute : les journalistes exerçant dans les zones de combat impliquant l’armée israélienne sont ciblés.

“Ce n'est pas une impression. Il est évident que dans de nombreux cas documentés, des journalistes palestiniens ont été visés par l'armée israélienne. D'autres ont malheureusement perdu la vie sous les bombardements, à leur domicile ou dans des bâtiments publics (hôpitaux).”

Des menaces à peine voilées

Toujours est-il qu’au fil des jours, les autorités israéliennes n’hésitent pas à menacer ouvertement les reporters couvrant le conflit “sur la base de suspicions non argumentées ni étayées à ce jour”, d’après Reporters sans frontières.

L'armée israélienne prend à son compte les affirmations d’une ONG américaine basée à Jérusalem, HonestReporting, qui accuse des médias et agences de presse d’avoir accompagné les commandos du Hamas le 7 octobre dernier. Et par conséquent, d’avoir été informés de l’opération "Déluge d'Al Aqsa". “Sinon, comment expliquer leur présence sur le terrain si tôt, ce matin-là ?”, s’interroge l’organisation.

À cette question, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz. répond que si les journalistes étaient “au courant” de l’attaque du Hamas, ils ‘“ne seraient pas différents des terroristes et mériteraient le même sort’.

En d’autres termes, les journalistes seraient ainsi des cibles au même titre que les combattants du Hamas.

Et le quotidien français Sud-ouest de nous rappeler un précédent : “En mai 2021, lors d’une précédente guerre de Gaza entre le Hamas et Israël, l’armée israélienne avait pulvérisé la tour de 13 étages abritant les locaux de la chaîne d’information qatarie Al-Jazeera et de l’agence américaine Associated Press (AP). Israël avait alors qualifié le bâtiment de cible “ parfaitement légitime “ au vu des informations dont disposaient les services de renseignements.”

Les journalistes comme cble (Others)

RSF fait ainsi remarquer que “Les autorités israéliennes sont donc passées de l'affirmation qu'elles ne pouvaient pas garantir la protection des journalistes à Gaza à des menaces de mort sur des reporters couvrant le conflit, sur la base de suspicions non argumentées ni étayées à ce jour. “

Quoi qu’il en soit, soutient la Fédération internationale des journalistes, la place et le rôle des journalistes est essentielle dans des situations troubles et conflictuelles, comme à Gaza en ce moment. Chaque camp veut imposer son narratif à coup de guerre de communiqués et de Fake news.

“ Grâce aux journalistes à Gaza, essentiellement des membres de notre affilié, le Palestinian Journalists' Syndicate (PJS), le reste du monde peut être informé de la situation sur place, car la bande de Gaza reste une prison à ciel ouvert, qui devient jour après jour une fosse commune. Le nombre de morts est tellement hallucinant qu'il en devient incompréhensible.”

En dehors des aspects de guerre et de tous les manques, le problème principal reste bien le fait qu'aucun journaliste étranger ne soit autorisé à se rendre sur place pour documenter cette guerre asymétrique ”, se désole Athony Bellanger.

Dans ces situations de conflit,” les journalistes, avec les informations qu'ils diffusent ou recueillent, sont des témoins qui peuvent ensuite servir à l'accomplissement de la justice”, conclut-il.

Pourtant, l’hostilité de l’armée israélienne à l’égard des journalistes à Gaza, montre “le désir de mener une guerre à huis clos, pour dérouler son propre narratif, sans le regard gênant de la presse”. Aucun journaliste n’a pu attester par exemple que le Hamas se servait de l’hôpital Al-Shifa comme une base de ses opérations. Le président Joe Biden y croit pourtant, influencé en cela par les dires de l’armée israélienne.

Lire aussi


TRT Francais