Les fleurs artificielles des cafés parisiens, mode florissante... et menacée / Photo: Reuters (Reuters)

Des citronniers, des orangers, des bouquets exubérants, des cerisiers, pivoines, roses aux couleurs vives surgissent à chaque recoin du centre de la capitale française, malgré des températures désormais hivernales.

Aux Halles, Charline, 41 ans, s'immortalise devant la monumentale glycine rouge du Florida, qui s'étale sur trois angles et trois étages. Venue de Toulouse (Sud-Ouest),l'appât coloré "donne un côté sauvage, de la consistance et envie d'entrer".

Attablées en terrasse à la Maison sauvage, à Saint-Germain-des-Prés, sous une glycine mauve aussi abondante que factice, Andréa Susini et Tiffany Luciani, deux touristes corses de 28 ans, ont choisi l'endroit via un compte Instagram spécialisé "parce qu'on aime les décorations atypiques", explique la première.

"Instagrammable": dans la Ville Lumière qui retrouve une fréquentation touristique d'avant-Covid, le néologisme revient avec insistance dans la bouche des commerçants qui ont cédé aux charmes des fleurs artificielles.

"De 600 +followers+, on est passés à 12.000", souligne Fabienne Mialane, la directrice du Chien qui fume, en montrant des hommes photographiant la forêt d'œillets qui envahit sa devanture, au-dessus de vraies plantes.

Les commerçants sont unanimes sur l'impact positif de ces décorations de plastique, qu'ils chiffrent à une hausse moyenne de 30% de leur chiffre d'affaires.

"Dépassé"

"Les gens s'arrêtent, prennent en photo et ensuite viennent ici", confirme devant ses bouquets multicolores un habitué du Bon pêcheur, Benjamin Bréhin.

A l'origine de cette mode, le restaurant la Maison sauvage et un homme, le fleuriste Luc Deschamps, qui s'inspirent d'un hôtel de New York et importent le concept en 2017.

La tendance s'affirme dès la levée du confinement imposé par la pandémie de Covid-19 et, depuis, Luc Deschamps se sent "dépassé".

"J'ai presque doublé mon chiffre d'affaires depuis un an et demi", résume l'artiste de 59 ans qui reçoit désormais trois demandes par jour, pour un devis minimal de 5.000 euros.

Si la région parisienne concentre pour l'heure 80% de ses clients, des établissements prévoient de les rejoindre aux quatre coins du pays, à Metz, Saint-Étienne, Arcachon, Courchevel ou Chartres...

Mais ses décorations florales ne font pas l'unanimité.

Car si les gros branchages d'assemblement viennent de châtaigniers et chênes, ses hortensias, roses ou cerisiers sont en tissu et leurs tiges en plastique. Importés de Chine.

Un décor floral naturel "a besoin d'eau, d'entretien" et "tient cinq jours", plaide Luc Deschamps, alors que ses décors artificiels "tiennent trois, quatre ans minimum, sans aucun entretien".

Pas de quoi convaincre l'adjointe au commerce à la mairie de Paris, Olivia Polski, qui "préfère largement de la vraie végétalisation aux fleurs coupées ou en plastique".

Venue de Rennes (Ouest), Chloé, 38 ans, trouve aussi la façade du Florida "too much", avec "trop de plastique".

"Pas autorisés"

Pour l'élu écologiste parisien Frédéric Badina-Serpette, c'est plus la "course à façade la plus ornée" qui pose problème.

"Tant que c'était mineur, ce n'était pas un sujet", reconnaît Mme Polski, mais la multiplication des décorations va pousser la mairie à "regarder au cas par cas si les commerçants ont déposé des dossiers à la direction de l'urbanisme".

Outre l'autorisation de la copropriété, les Architectes des bâtiments de France (ABF) ont leur mot à dire dans certains secteurs, estime Mme Polski, pour qui ces décors ne sont en l'état "pas autorisés".

Le maire de Paris Centre, Ariel Weil, fait le pari que cette "mode", qui va "du pire à l'acceptable", ne durera "pas très longtemps". "Sinon, on verra comment mettre fin aux plus moches" car "on ne peut pas dénaturer une façade, de manière permanente, sans permis", décoche l'élu socialiste.

De quoi faire bouillir les commerçants qui, entre la pandémie, l'interdiction des chauffages en terrasse et la crise énergétique ont investi des milliers d'euros dans ces décorations.

"Les terrasses, les bistros parisiens, c'est connu dans le monde entier et on ne fait de mal à personne", soupire Julien Valentin, le gérant du Musset, rappelant "qu'une énorme partie de Paris, de commerces, vit grâce aux touristes".

"Après deux ans de Covid, on empêche les gens de travailler", fulmine Fabienne Mialane, en rappelant qu'elle verse à la mairie 32.000 euros annuels de droits de terrasse.

AFP