Salina, une pièce de théâtre en hommage aux femmes (Reuters)

TRT Français était présent sur place et nous avons pu observer les réactions extrêmement positives et enthousiastes du public. C’est la raison pour laquelle, nous avons pris rendez-vous quelques semaines plus tard avec Lahcen Razzougui, qui joue le rôle majeur de Malaka dans ladite pièce de théâtre, pour nous la présenter.

Le livre intitulé “Salina, les 3 exils” de Laurent Gaudé (éditions Actes Sud), a reçu le Grand Prix du Roman Métis 2019, le Prix du Roman Métis des Lecteurs 2019 et le Prix du Roman Métis des Lycéens 2019.

Résumé de l’histoire

Malaka se doit de raconter le récit de la vie de sa mère. Salina est l'enfant de sel qui a été abandonné aux portes de la citadelle par un mystérieux cavalier. Recueillie par Mamambala, elle est finalement adoptée par le clan Djimba. Plus elle grandit, plus elle s’éprend de Kano, mais c’est à Saro, son frère aîné, que le clan Djimba la destine. Mariée contre sa volonté, brutalisée et humiliée, Salina refuse de se soumettre. Lorsque sur le champ de bataille, elle ne porte pas secours à son époux agonisant, la tribu la juge, garde son enfant et la bannit. Seule dans un désert de sable, ivre de colère et de rage, elle donne naissance à un enfant qu’elle élèvera dans l’obsession de la vengeance.

La pièce de théâtre Salina a eu beaucoup de succès au festival d'Avignon, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m'appelle Lahcen et je suis franco-marocain. Pour mieux me présenter, il y a lieu de rappeler mon histoire personnelle. En effet, mon grand-père était storyteller dans le désert marocain et naturellement, au moment où je me posais des questions sur ma vie, l'art dramatique était une évidence. C'est la raison pour laquelle, j'ai fait les cours Florent et j’ai préparé le conservatoire national d'arts dramatiques en réussissant les concours. Et depuis 15 ans, je suis un acteur essentiellement de théâtre et parfois de l'écran au cinéma.

En tant que comédien, comment en êtes-vous venu à travailler avec la compagnie Les Apicoles sur cette pièce de théâtre ?

Le point de rencontre avec cette histoire remonte à la période où j'étais élève au conservatoire national des arts dramatiques. Nous avions des cours de masques et Khadija El Mahdi, coadaptatrice du roman Salina de Laurent Gaudé et co-metteur en scène, était assistante de mon professeur de ce même cours de masques. On s'est connu il y a une vingtaine d'années. Elle venue me voir jouer à Avignon il y a quelques temps et elle m'a fait la proposition de jouer le rôle de Malaka dans la pièce Salina qu'elle comptait mettre en scène. A l’époque, je ne connaissais ni Laurent Gaudé ni le roman. J'ai donc acheté le livre le lendemain et je l'ai lu d'une seule traite, en une nuit. Cela m'a fait vibrer notamment des cordes en moi qui n'avaient encore jamais vibré. Cela m'a ramené à ma géographie, à ma mère, mes sœurs et ma double culture. En effet, je suis né en France mais j'ai vécu au Maroc et en Angleterre. Dans ma vie, j'ai toujours été dans des pays où la mentalité était diamétralement opposée à ma culture d'origine et j'ai donc dû m'adapter tout le temps.

Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter le rôle de Malaka ?

Dans Salina, j'ai retrouvé toutes ces questions sur la différence, l'acceptation de l'autre, l'égalité entre la femme et l'homme mais aussi les "dommages collatéraux" de ces questions au sein d’une famille marocaine venue faire fortune en France pour repartir un jour au Maroc. Effectivement, dans notre foyer familial, nous vivions le Maroc dans toute sa splendeur : sa religion, ses traditions, ses mœurs et dehors, nous vivions la France, sa culture et son école. Il fallait trouver un sens dans ce labyrinthe de contradictions.

La pièce Salina a vraiment pointé le doigt sur ses problématiques qui me hantent depuis ma tendre enfance : Qui a raison ? Qui a tort ? Qui dit la vérité ? Qu'est ce qui est mauvais ? Où est ma place dans le monde et comment puis-je la trouver ? Elle m'a ramené également à ce regard sur la femme dans les sociétés comme celle du Maroc. Je vis au Maroc et j'observe ce traitement à l'endroit des femmes ici plus qu'ailleurs. Force est de constater qu’on a encore des progrès à faire là-dessus. Aussi, jouer cette pièce est un hommage à ma mère qui a toujours courbé l'échine alors que Salina a décidé un jour de dire non. Salina a eu envie de dire qu'elle a des envies, une liberté, des désirs, des choix à faire et à assumer. Pour moi, tous les soirs, c'est un honneur de défendre toutes ces femmes qui n'ont pas la parole à travers le texte magnifique de Laurent Gaudé et la mise en scène de Bruno Bernardin et Khadija El Mahdi.

Extrait de la pièce

"Moi, Malaka, fils élevé dans le désert par une mère qui parlait aux pierres, je vais raconter Salina, la femme aux trois exils. Je vais dire ma mère qui gît là, au fond de la barque, et le monde qui apparaîtra sera fait de poussière et de cris. À l’époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait des soleils qui faisaient saigner la peau et un désir de vengeance sauvage. À l’époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait une enfant venue de nulle part. Elle est née loin, Salina, si loin que personne ne connaît le lieu exact ni de qui elle fut l’enfant, pas même elle. Moi, Malaka, qui dois faire le récit de sa vie pour que le cimetière décide de s’ouvrir ou pas, je choisis de commencer ce jour de marche, à l’autre bout de sa vie, car c’est là que tout débute. Un jour de chaleur épaisse où un village entier a tourné la tête vers les montagnes. Les mots que je vais prononcer, je les tiens de loin. Je n’ai pas connu ces jours rêches de combat. Ma mère me les a racontés mais elle ne s’en souvenait pas non plus. Elle les tenait d’une autre voix : celle de Mamambala. C’est elle qui lui a raconté ce que je vais dire. Moi, Malaka, fils d’une longue chaîne de voix, je reprends le récit d’avant ma vie et de bouche en bouche, de veillée en veillée, je vous fais parvenir ce que fut cette journée. Ne vous fiez pas à ma solitude, nous sommes nombreux dans cette barque : tout un monde se présente à vous par ma voix."

Entretien réalisé par Eugène Fresnel et Jamel El Hamri

TRT Francais