Les tortues de mer : sentinelles de l’environnement marin tunisien (AFP)

Les tortues de mer peuplent les océans depuis des millions d'années. Néanmoins, leur vie n'est pas un long fleuve tranquille.

Malgré l’importance de leur rôle dans la conservation de nos mers et le développement d’autres espèces marines, de nombreuses menaces telles que la pollution, le braconnage, la pêche accidentelle ou encore les changements climatiques, menacent l’existence de ces « animaux centenaires ».


En effet, six des sept tortues marines sont classées comme vulnérables, en danger ou en danger critique d'extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN).

La journée mondiale de la tortue célébrée le 23 mai chaque année, est l'occasion de rappeler que dans la préservation de ces espèces reptiliennes, la Tunisie est là, non seulement avec ses deux centres de secours des tortues de mer, uniques dans la rive sud de la Méditerranée, mais aussi avec les recherches et l’engagement des spécialistes, des activistes et des militants écologiques.

Dans ce contexte, le chercheur tunisien, spécialiste des tortues marines, Hamed Mallat nous éclaire sur l’importance de ces reptiles dans l’écosystème marin, les dangers qui pèsent sur eux et le plan d’action de la Tunisie pour leur préservation.

Des menaces croissantes

Il existe sept espèces de tortues marines dans le monde dont 3 évoluent en Méditerranée : la tortue Caouanne (son nom scientifique: Caretta caretta), la tortue Luth (Dermochelys coriacea) et la tortue Verte (Chelonia mydas).

Ces reptiles migrateurs jouent un rôle clé dans les écosystèmes marins et côtiers ainsi que dans la biodiversité des espèces.

Dès qu’ils sont sujets à un problème (maladie, menace, pollution...), c'est tout l'écosystème qui est en danger, ce qui affecte indirectement l’être humain.

Lors d'un entretien avec l’Agence Anadolu, Hamed Mallat a expliqué que les dangers encourus par ces reptiles se répartissent principalement en deux catégories : des menaces naturelles qui entrent dans l’équilibre de l’écosystème.

Les petits des tortues et les embryons qui naissent dans leurs œufs sont vulnérables aux prédateurs. Parmi les animaux qui s'attaquent aux tortues, on trouve notamment diverses espèces d'oiseaux, de mammifères, de reptiles et de poissons.

Puis, il y a les plus grandes menaces qui sont d’origine anthropique comme la pollution. Citons à titre d’exemple, le plastique qui pollue notre environnement, qui se retrouve dans les océans et menace, de facto, la faune marine.

C'est le cas des tortues. Celles-ci prennent les sacs plastiques pour des méduses et les avalent. Elles meurent étouffées après avoir ingurgité un sac ou un objet en plastique.

A la pollution s’ajoute la destruction des sites de nidification qui se réduisent comme peau de chagrin. L’aménagement des côtes, l'exploitation sous concession des plages, les projets touristiques et d’urbanisation privent les tortues de mer de leur habitation sur les côtes.

« A la Chebba relevant du gouvernorat de Mahdia, nous sommes en train de perdre un site de nidification et ce, depuis l’aménagement du projet de la corniche. Les lampadaires d'éclairage public orientés vers la plage, déboussolent les bébés tortues qui, au lieu de voguer vers la lumière que reflète les étoiles sur l'eau, ils se dirigent, avec les lumières artificielles de la ville, vers la route.

Le matin, on retrouve des bébés tortues broyés sous les roues des voitures », déplore notre expert.

L’autre facteur qui menace ces reptiles migrateurs, c’est la pêche accidentelle. Ils se retrouvent bien souvent coincés dans des dispositifs comme les filets dérivants, les palangres ou les filets droits.

« Le pêcheur est le noyau principal de la conservation des tortues. Conscients du rôle qu’il peut jouer, nous avons misé sur la formation continue des pêcheurs dans la préservation de ces espèces menacées.

Nous les aidons à apprendre les bonnes pratiques du sauvetage des tortues, car nous voulons avoir des marins biologistes qui sauront comment agir en cas de danger », souligne notre interlocuteur.

Dans le même sillage, Hamed Mallat a signalé qu’en dépit des nombreux textes réglementaires sur la protection générale des tortues marines à l’échelle nationale et internationale, et qui interdisent strictement la pêche et la commercialisation de ces espèces menacées, ces dernières sont victimes du braconnage.

Certains se prêtent au jeu du commerce illicite des espèces sauvages dont les tortues marines pour sa chair, sa carapace et même pour ses prétendues vertus aphrodisiaques.

« Grâce à l’importante vague de sensibilisation, ces dernières années, on a de moins en moins de ces phénomènes en Tunisie. Nous avons expliqué aux gens que la science a prouvé que la consommation de la viande de la tortue n’est pas bonne pour l’homme car elle contient des métaux lourds », a-t-il ajouté.

À l'heure où le monde essaie de mettre en avant les nombreux problèmes liés au dérèglement climatique et à la perte de biodiversité, les tortues de mer se trouvent elles aussi confrontées aux grands bouleversements induits par le réchauffement de leur monde aquatique.

L’élévation du niveau des mers affectera le corridor de la migration des tortues et détruira leurs sites de nidification, étant donné que des plages seront englouties sous l'effet de la montée de l'eau de mer.

Par ailleurs, la hausse des températures exerce des effets sur le genre des tortues marines. En effet, le réchauffement climatique engendre une hausse des températures de l'air et de la mer qui se traduit chez ces créatures par un plus grand nombre de progénitures femelles.

Un bilan satisfaisant pour la Tunisie au chevet des tortues

La Tunisie dispose de sites primordiaux pour la tortue marine, en particulier au golfe de Gabès qui revêt une importance particulière dans la Méditerranée, non seulement pour « ces marins des temps anciens », mais aussi pour d’autres espèces marines.

« Le Golfe de Gabès pas profond, chaud, et riche en aliments est essentiel pour l’environnement marin tunisien », assure l’écologiste tunisien qui rappelle qu'il y a deux sites de nidification pour les tortues.

Il y a des sites stables comme Kuriat (avec 30 à 40 nids) et d’autres irréguliers comme à Hammamet, Kélibia, ou encore Chott Zouaraa à Béja.

A ce propos, il convient de signaler que sur toute la rive sud de la Méditerranée, il n’y a que la Tunisie qui bénéficie, depuis 2004, d’un Centre de soins et de secours des tortues marines au sein de l’Institut national des sciences et technologies de la mer (NSTM) à Monastir.

Cet établissement fait des autopsies des tortues mortes pour déterminer la cause de mortalité et apporte des soins aux tortues échouées vivantes ou ramenées dans le cas de captures accidentelles.

Un réseau « SeaTuMed » a été également lancé en Tunisie. Son action est axée sur la protection des tortues marines sur les côtes tunisiennes. Sur les 50 centres de sauvetage de tortues en Méditerranée, deux seulement se trouvent à la rive sud, à Monastir et Sfax en Tunisie.

Interrogé sur les dispositifs mis en place pour la protection des tortues, Hamed Mallat a affirmé que la Tunisie a élaboré un plan d’action national avec différents acteurs et à divers niveaux, qui comprend notamment la création des associations, et des centres de secours, la vulgarisation du discours scientifique, l’application de la loi, la communication, la sensibilisation, l’apprentissage des bonnes pratiques et le développement des recherches scientifiques.

Au niveau législatif, la Tunisie œuvre à harmoniser sa législation nationale avec les engagements et les dispositions internationaux, notamment en ce qui concerne l’atténuation de l’interaction pêche-tortues, le commerce illégal et la protection des sites de ponte.

« Nous sommes vraiment en train d’appliquer notre plan d’action. La Tunisie est très avancée dans la conservation des tortues marines.

Mais, cela ne veut pas dire que nous allons arrêter notre lutte. Nous continuerons à déployer encore plus d’efforts pour protéger notre environnement marin », a conclu notre vis-à-vis.

AA