Le réchauffement climatique à l'épreuve de la croissance économique (AP)

Le terme de réchauffement est apparu pour la première fois en 1971, lors du premier Sommet de la Terre qui a défini ce phénomène global qui affecte la planète et anticipé ses conséquences. Au fil des ans, le phénomène s’est amplifié dans un monde où la croissance économique est devenue bien plus qu’un terme à la mode d’une certaine élite politique et économique. Le concept a été élevé à une véritable croyance, celle de croire qu'en avoir toujours plus est systématiquement mieux. Or, ce credo qui fait miroiter un Eldorado de développement, tant pour les grandes économies que pour les pays émergents, crée paradoxalement un monde en voie de dépérissement, et, à terme, d’extinction.

Comprendre froidement un réchauffement planétaire

Si la prise de conscience des effets de la croissance économique sur la santé de la planète semble acquise, il est tout de même utile de rappeler la définition du réchauffement climatique. Pour Mme Emna Rabaoui, spécialiste en environnement et ressources aquatiques, “Le réchauffement climatique, ou autrement dit le réchauffement planétaire, est un phénomène qui se caractérise par l’augmentation du niveau moyen de la température à la surface de la Terre, dû principalement aux gaz à effet de serre, rejetés par les activités entropiques (l’industrie, les transports, l’agriculture, l’extraction, la combustion d’énergie fossile, les agglomérations humaines…)“.

Pour Emna Rabaoui, “l’un des enjeux majeurs de ce phénomène sera de conjointement développer des stratégies de lutte contre les émissions de CO2 et d'adaptation aux dérèglements climatiques et à leurs conséquences sociales, économiques, agronomiques et environnementaux“.

Par cette affirmation, Mme Rabaoui rejoint les conclusions du sixième rapport d’évaluation sur le changement climatique, élaboré par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), qui dépend du Programme des Nations unies pour l'environnement, rendu public le 4 avril dernier, qui a indiqué que les émissions de carbone nocives de 2010 à 2019 n'ont jamais été aussi élevées dans l'histoire de l'humanité, "la preuve que le monde s’achemine rapidement vers la catastrophe".

La catastrophe en question n’est rien de moins, selon Mme Rabaoui, qu’une série de phénomènes qui sont, au mieux, des perturbations, au pire des catastrophes à proportions parfois cataclysmiques tels que les inondations, les cyclones, les vagues de chaleurs, la sécheresse, les ouragans, les incendies, entre autres “déséquilibre de l’écosystème, surtout le bouleversement de la biodiversité à la suite des déséquilibres des chaines tropiques, la disparition de certaines espèces végétales ainsi que la migration de certaines espèces fauniques sensibles aux changements climatiques et aux augmentations de la température“, a-t-elle affirmé.

“Au rythme actuel, une augmentation de 1,5°C de la température serait atteint entre 2030 et 2050, ce qui donnera naissance aux autres catastrophes naturelles, aux maladies, à la vulnérabilité de la sécurité alimentaire et bien évidemment à une guerre hydrique“ a conclu Mme Rabaoui.

Avec un tel scénario, qui semble sortir tout droit du film Mad Max, sauf que ceci “n’est ni une fiction, ni une exagération. C'est ce qui résultera de nos politiques énergétiques actuelles, nous dit la science. Nous sommes sur la voie d'un réchauffement climatique de plus du double de la limite de 1,5 degré (Celsius)“, selon les termes mêmes du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans ses commentaires du rapport de la GIEC.

Ces déclarations sont intéressantes à plus d’un titre, dans la mesure où il y est question d’une remise en cause des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais aussi et surtout des politiques de relance économique, promettant une nouvelle course à la croissance, ce Graal tant convoité, en ces temps post-pandémiques.

L’insoutenable légèreté du PIB

Le philosophe et économiste américain Kenneth E. Boulding (1910-1993) avait affirmé : “Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste“. La pensée de Boulding est d’autant plus ironique qu’un économiste se veut prévoyant (jusqu’à la prescience), à la décimale près, de l’avenir du moindre mouvement de croissance, mais ne voit pas (ou ne veut pas voir) l’impact de l’économie sur l’existence même du vivant, en cherchant à croître à tout prix, transformant à tout-va les ressources et les matières premières en biens, pour une poignée de points de PIB en plus.

Pour contrer cette tendance mortifère de l’économie mondiale, des velléités de créer un système d’économie durable, qui répond aux besoins présents de développement sans pour autant compromettre l’avenir de la planète et des générations futures, ont commencé à voir le jour depuis les années 90 avec notamment l’adoption de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, en 1992, qui s’alimente de l’idée de nouveaux modèles de croissance autres que le capitalisme axé sur l’industrialisation de la production et le consumérisme. La Déclaration de Rio finira par échouer à concrétiser ses objectifs fixés à deux reprises en 1992 et 2012.

Plus récemment, en décembre 2015, l’accord de Paris pour le climat a été signé par 195 pays, lors de la COP21. À travers un effort collectif, un objectif a été fixé : restreindre le réchauffement climatique à 1,5 ou 2 degrés, comme plafond maximal d’ici l’année 2100. La neutralité carbone devait, quant à elle être atteinte à l'horizon 2050. L’euphorie à la suite de cet accord aura été de courte durée (les Etats-Unis s’étaient retirés de l’accord sous l’administration Donald Trump), à la lumière des échecs constatés lors de la COP24 de Katowice et de la COP25 de Madrid. La COP26 qui s’est tenue à Glasgow en 2021, semble quelque peu relancer certains espoirs, mais les chiffres ne semblent pas présager des lendemains plus verts.

Et pour preuve, les ravages du système économique actuel ont été quantifiés par un rapport, élaboré par Ubyrisk Consultants, qui dresse le bilan statistique du nombre et du type de catastrophes naturelles à travers le globe depuis 2001 jusqu’en 2020. Selon cette étude, corroborée par un rapport du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNSDIR), “depuis le 1er janvier 2001, pas moins de 18 142 évènements naturels dommageables se sont produits dans le monde, causant la mort directe ou indirecte de 1 354 792 personnes et coûtant plus de 3 445 milliards de dommages“, soit une moyenne de 907 évènements par an selon la même source, résultant du dérèglement et du réchauffement climatiques.

Réchauffement climatique : “les moins responsables paient le plus lourd tribut“

Commentant les politiques actuelles de lutte contre le réchauffement climatique, Omar Ibn Abdillah, économiste et spécialiste du développement durable, a déclaré : “La dynamique de développement vers un monde plus écologique et plus durable ne sera atteinte que lorsque l’ensemble des puissances mondiales, du public au privé, s’engagent dans une démarche constructive, de réciprocité et de répartition équitable des ressources et des responsables face au changement climatique“.

L’affirmation est soutenue par un rapport qui a évalué les efforts des 25 plus grandes entreprises mondiales pour réduire leur empreinte carbone, dans le cadre d’un rapport intitulé "Corporate Climate Responsibility Monitor 2022", réalisé par le NewClimate Institute en collaboration avec Carbon Market Watch. Le rapport affirme sans appel l’échec de ces entreprises dans leur engagement climatique, bien que celles-ci se targuent d’œuvrer dans la lutte contre le changement climatique, en organisant notamment de campagnes de communication autour de cela. Or, il s’avère que ces mêmes entreprises se lancent dans des manœuvres financières pour disposer des droit d’accès aux crédits et aux subventions destinées aux entreprises dites vertes, sans que cela n’ait un quelconque impact sur la course au “Zéro carbone“.

Pour sa part, la confédération Oxfam International militant contre les inégalités et la pauvreté a fustigé dans son rapport intitulé "Les vrais chiffres des financements Climat" qu’en plus de subir les effets du réchauffement climatiques, dont ils ne sont pas responsables, les pays pauvres de la planète font l’objet d’un endettement inquiétant à cause des financements climat qui leur sont octroyés excessivement sous forme de prêts et de financements non concessionnels au nom de l’urgence climatique. Une pratique qualifiée de “scandaleuse“ par l’auteur du rapport.

Pour Oxfam, “Les financements Climat internationaux sont la pierre angulaire de la coopération internationale sur le changement climatique, basé sur le constat que changement climatique est meurtrier, onéreux et que les personnes qui en sont les moins responsables sont aussi celles qui en paient le plus lourd tribut“.

AA