Au Cameroun, ce groupe est estimé aujourd’hui à au moins trois millions d’âmes  (AA)

Le Cameroun comme plusieurs autres pays africains se caractérise par une riche diversité ethnique et communautaire, avec plus de 250 groupes ethniques parlant plusieurs dialectes. Cette diversité ethnique et communautaire est très souvent au cœur d’enjeux politiques et sociaux.

Les traditions orales relatives à l’histoire du peuplement du Cameroun témoignent d’une grande multiplicité d’origines géographiques entre les divers groupes et en leur sein même.

L’anthropologie physique et biologique s’en fait l'écho à travers de grandes familles : Pygmoïdes, Négritiques, Soudanais, ainsi que les communautés pastorales pygmées et mbororos, qui s'identifient comme autochtones.

L'Agence Anadolu (AA) s'est rendue dans l’un de leurs campements (waal’de) en demi-lune autour de la vaste réserve de pâturage, située au bord de la Bénoué au Nord du Cameroun.

AA a constaté que les Mbororo sont des peuls en majorité musulmans. Ils sont restés fidèles au nomadisme pastoral et ont des connaissances très détaillées sur le bétail et préfèrent séjourner sur de vastes pâturages éloignés des zones cultivées.

Éleveurs de bœufs, ils sont sans cesse à la recherche de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux.

Bien qu’ils soient une minorité (moins de 10% de la population totale) au Cameroun, les Mbororo possèderaient presque la moitié du cheptel bovin national. Ces indications donnent déjà une idée de l’importance de l’activité pastorale de cette population.

“Chez nous, peuls nomades, les vaches sont une richesse. Ce sont des biens précieux susceptibles d’être volés, capturés, détournés et accaparés. Nous sommes conscients de la fragilité de cette richesse, surtout en temps de guerre. Face à ces menaces, nous défendons parfois nos animaux comme on peut, mais, le plus souvent, ils nous font fuir”, a expliqué Moussa Soulé, un Mbororo à l’est du Cameroun.

‘’Minin boo, na ’i min hakkila, Dum ngesa amin’’, “Quant à nous, nous nous occupons des vaches, c’est comme si c’était notre champ”. Cette affirmation, la plupart des Mbororo du Cameroun pourraient la reprendre à leur compte.

Où sont-ils installés ?

Au Cameroun, ce groupe, qui est estimé aujourd’hui à au moins trois millions d’âmes selon le ministère de l’Administration territoriale, était traditionnellement composé de nomades.

De nos jours, plusieurs sont transhumants, migrent de façon saisonnière, mais retournent à leur habitation temporaire.

Les Mbororo sont présents sur tout le territoire camerounais, mais se trouvent en plus grand nombre dans les régions de l’Ouest, de l’Est, du Nord-Ouest et dans le septentrion (nord), on les retrouve également dans les zones frontalières avec le Nigéria, le Tchad et la République centrafricaine.

“Au Cameroun, le Mbororo n’est pas dans la position du migrant qui passe de la campagne à la ville ni d’une ville à une autre. Soumis au cycle des saisons sèches et pluvieuses indépendamment de sa volonté, il ne lui impose aucune transformation durable. En outre, les interactions avec autrui, c’est-à-dire avec des groupes porteurs d’une autre culture que la sienne, y sont peu fréquentes, discontinues et souvent bornées aux échanges économiques minimaux (troc épisodique, achat de denrées, de vêtements, négociation pour s’abreuver à un puits)”, a expliqué Mono Ndjana, sociologue et écrivain camerounais.

“Dans cet environnement, où qu’il soit, même après la traversée d’une frontière, il n’est donc jamais déraciné, car jamais enraciné”, a souligné l’universitaire anthropologue camerounais, Parfait Akana.

Tandis que les jeunes continuent à nomadiser, les "anciens" s’établissent dans un village, voire le construisent eux-mêmes pour ne plus jamais le quitter.

Ils connaissent, cependant, une dynamique de sédentarisation dans certaines localités du Cameroun depuis plusieurs décennies, à tel point que beaucoup d’entre eux sont devenus des semi-sédentaires et des agro-pasteurs.

Les défis à surmonter

Cette communauté d’éleveurs est confrontée à plusieurs insécurités : environnementale, foncière, fiscale et criminelle.

“Bien que le grand banditisme rural qui a pris de l’ampleur dans certaines localités du Cameroun depuis le début du siècle affecte toutes les communautés, les Mbororo paient un tribut particulièrement lourd à ce fléau”, a souligné, Ahmadou Adamou, président de l’Association pour le Développement Social et Culturel des Mbororo (Mbuscoda).

“Les Mbororo sont ciblés par les coupeurs de route devenus kidnappeurs et doivent vendre leur bétail pour payer les rançons. Ce phénomène de kidnappings a des conséquences déstabilisatrices sur la société rurale en général et sur les Mbororo en particulier, qui, en conséquence, s’appauvrissent, et se voient contraints de se relocaliser et de se reconvertir dans d’autres métiers”, a relevé Adamou.

Dans un rapport publié le 29 juillet 2011, le Comité international de la Croix-Rouge (Cicr) a souligné que “les coupeurs de route font des incursions depuis la République Centrafricaine et pratiquent des enlèvements. Ils s'attaquent particulièrement aux éleveurs mbororos. Ces derniers ont déjà vendu beaucoup d'animaux pour payer les rançons. Le montant est d'un à deux millions de francs CFA, soit environ 2 000 euros, ce qui revient aux prix de quatre grands bœufs. A défaut de paiement, les coupeurs de route ont prouvé à de nombreuses reprises qu'ils pouvaient tuer”.

Les effets du changement climatique se font sentir dans le nord du Cameroun et obligent les Mbororo à se déplacer.

“Pendant la saison des pluies, de nombreux cours d’eau débordent et provoquent des inondations à répétition qui tuent bétail et hommes. À l’inverse, les sécheresses sont synonymes de forte réduction des ressources en eau pour les cultures et le bétail. Cette situation engendre une instabilité du calendrier agricole et une diminution considérable des pâturages, provoquant ainsi une sous-alimentation du bétail. Ceci nous oblige à nous déplacer d'une zone à une autre, sans le vouloir”, a expliqué le Mbororo éleveur, Musa Hassan.

Insécurité foncière

Dans un passé maintenant lointain, le seul problème des pasteurs mbororos était la crainte d’être attaqué par des bêtes sauvages rencontrées sur le chemin pendant la nomadisation. Aujourd’hui, la principale crainte concerne l’accès au foncier.

“Le pays connaît de fortes tensions foncières résultant de la croissance démographique, des usages concurrents de la terre (élevage contre agriculture), de la dégradation des sols et des inondations récurrentes, ainsi que de la faible productivité agricole. Par ailleurs, les conflits dans la zone du Lac Tchad (incursions de Boko Haram, tensions inter-ethniques, etc.) provoquent d’importants déplacements de population surtout les nomades”, a expliqué, le ministre camerounais de l'Élevage, Dr Taiga.

D’après ce membre du gouvernement camerounais, l’amélioration de la coordination entre les initiatives sécuritaires communautaires et étatiques présuppose en premier lieu de restaurer la confiance entre les divers acteurs.

Insécurité fiscale

L’insécurité fiscale est liée au fait que les éleveurs sont soumis à plusieurs taxations de la part du gouvernement, des communes et des autorités traditionnelles, dont l’importance varie au fil des années.

“Les taxes traditionnelles sont diverses et leur montant est souvent calculé de façon arbitraire. Une partie est versée au Lamido comme droit d’accès à la terre cultivable, une autre, dont la zakkat [aumône, Ndlr], est versée le plus souvent en nature au Lamido sous forme de bétail”, a expliqué Ahmadou Adamou, président de l’Association pour le Développement Social et Culturel des Mbororo (Mbuscoda) ajoutant que la zakkat est particulièrement lourde.

À la fiscalité des autorités traditionnelles s’ajoutent les abus des autorités administratives locales.

“Lors de leurs contrôles, les forces de sécurité imposent des amendes abusives pour défaut de papiers. Le Mbororo qui vit en brousse loin de toute modernité n’est jamais au courant qu’il doit se faire établir une carte d’identité», regrette, Harouna Siroma, Mbororo à Nakong dans la région du Nord.

Malgré toutes ces difficultés, les Mbororo n’auraient jamais cessé de se déplacer, ils seraient des perpétuels campeurs-décampeurs.

“Ces perpétuels migrants sont économes des moyens dont ils disposent, tant matériels qu’intellectuels. Ils ne s’encombrent pas. Le strict nécessaire, au plus léger, constitue leurs bagages. Tout le monde contribue à la vie domestique organisée autour du troupeau. Ce sont des familles ou des groupes de familles qui forment l’unité nomade. Donc, pas d’école coranique qui pourrait guider les apprentissages simultanés de la langue arabe et des préceptes de la foi”, a estimé, Mimche Honoré, professeur d’Anthropologie à l’Université de Yaoundé II.

La multiplication des conflits violents, une menace à la survie des peuples autochtones

Les populations mbororos ont souvent été en conflit avec leurs voisins agriculteurs le long des pistes de transhumance et des points d’eau dans plusieurs régions du pays.

Les droits de propriété revendiqués par les Mbororo sont très souvent rejetés par leurs voisins.

“Exploitant l’ignorance par les Mbororo de la législation foncière et la procédure d’immatriculation foncière, les agriculteurs obtiennent des titres d’immatriculation dans l’espace pastoral non délimité par un acte officiel. D’où la multiplication des conflits qui débouchent sur la destruction de plantations et du bétail mais occasionnent aussi des pertes en vies humaines”, a expliqué le président de Mbuscoda.

Avec la crise anglophone, qui a ressurgi en 2016 et l’escalade de la violence qui s’en est suivie, la situation des Mbororo du Nord–Ouest s’est profondément dégradée.

“Les actes de violence dirigés par les séparatistes anglophones à l’encontre des communautés mbororos dans la région du Nord-Ouest obligent les membres de cette communauté d’éleveurs à se déplacer avec leurs troupeaux vers d’autres régions du pays. Plusieurs membres de la communauté Mbororo ont été kidnappés contre rançon ou assassinés. Ils ont également été victimes de pillages et de vol de troupeau”, a indiqué Dr Taiga, ministre camerounais de l’Elevage.

La sédentarisation des Mbororo

La sédentarisation des populations mbororos dans certaines localités du Cameroun a pris de l’envol il y a quelques années et cela peut s’expliquer par le fait que pendant leur transhumance, ils étaient à la recherche du pâturage ou un lieu où ils pouvaient faire paître leurs troupeaux.

“Il est à noter qu’où ils se sont installés, sont des zones fertiles grâce à leurs caractéristiques pédologiques, leur couvert végétal et leur climat et ce qui a facilité leur sédentarisation, développer leurs activités et impacter ces zones”, a expliqué Manu Ibrahim, maître de conférences au département de Socio-Économie et vulgarisation agricole à l’Université de Dschang au Cameroun.

Kossoumna Liba'a Natali, auteur du livre : Sédentarisation des éleveurs mbororos et évolution de leurs pratiques au Nord Cameroun, a estimé que la croissance de la population rurale a accru la concurrence entre éleveurs et agriculteurs pour l'accès aux ressources naturelles.

“Les décideurs souhaitent voir les éleveurs se sédentariser avec leurs troupeaux et abandonner leur pratique de transhumance. En fait, si on constate bien une fixation de l'habitat des éleveurs, ceux-ci maintiennent la transhumance saisonnière des troupeaux”, a souligné l’écrivain.

La sédentarisation des populations mbororos a eu une influence sur leur propre développement ce qui a aussi affecté le développement de leurs localités.

“Ceci voudrait dire que lorsque les Mbororo se sont sédentarisés, ils se sont ouverts aux autres communautés, ils cohabitent avec les autres communautés. Bref il y a une cohésion sociale parfaite, et cela a facilité leur intégration et leur adaptation dans le nouveau milieu et auprès des autres communautés”, a indiqué Mme Abdoulaye Amoa, déléguée régionale de la promotion de la famille et des femmes pour la région du Nord.

Selon le ministre camerounais de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, les Mbororo sédentarisés sont impliqués dans les partis politiques.

Et, aujourd’hui, à travers le Mbuscoda, ils se sont fait accepter politiquement et ont fait des demandes à ce qu’ils soient représentés dans le gouvernement, dans les mairies et qu’on leur reconnaisse le droit de vote et de participer à la vie politique du Cameroun.

Tout en sédentarisant leur habitat et les activités de production agricole et laitière, les Mbororo ont su adapter leur système d'élevage en maintenant la pratique de la transhumance mais en la modifiant.

Malgré quelques avantages tirés de la sédentarisation de leur habitat, l'amélioration de productivité et de la gestion des parcours bornés de petite surface et des grands parcours n'a pu se faire.