Virginie Martin est politologue et Professeur de sciences politiques et de sociologie à Kedge School. Ses recherches portent sur la vie politique, la démocratie, la citoyenneté et les médias. Elle dirige le Media Lab, et est responsable du programme spécialisé (MSC) médias, lobbying et communication (Others)

Virginie Martin est politologue et Professeur de sciences politiques et de sociologie à Kedge School. Ses recherches portent sur la vie politique, la démocratie, la citoyenneté et les médias. Elle dirige le Media Lab, et est responsable du programme spécialisé (MSC) médias, lobbying et communication. Elle répond aux questions de TRT Français.

Y-a-t-il un risque d'une inféodation ou d’une forme de soumission des médias par les politiques ?

D'abord, le lien entre les médias et le politique est un lien complexe. Parfois il est sain, parfois il est malsain. Bien entendu que les politiques sont obligés de se servir des médias pour parler aux opinions publiques, pour parler aux populations. Ont-ils le choix ? Non, bien entendu. Donc forcément, il y a toujours une envie de maîtriser les médias de la part du politique. Mais, même si on peut critiquer beaucoup les médias aujourd'hui dans nos démocraties et typiquement en France, il faut quand même se rappeler que dans les années 60-70, en France, il y avait la RTF, puis l'ORTF qui s'arrête en 74. Et à partir de là, c'est quand même un début de liberté, de libéralisation des médias, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire.

L’émergence des radios libres a multiplié les offres médiatiques à partir de 1981. Aujourd'hui, les choses sont plus compliquées parce que le marché des médias est plus balkanisé, plus fragmenté et plus archipelisé. De plus, n'oublions pas aussi la concurrence des réseaux sociaux. Aujourd'hui, il y a des télévisions sur YouTube, il y a Twitter avec un militantisme politique extraordinaire. Sur cette affaire de politique et de médias, il faut aussi voir, grâce à Internet, qu'il y a peut-être effectivement des médias mainstream au sein desquels il peut y avoir une connivence entre le politique et les journalistes.

Même école et même formation chez les politiques et les journalistes peuvent créer une forme d'endogamie ou de connivence. Cela est vrai. Mais même cela aujourd'hui est concurrencé. Par exemple, la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon ont créé des médias. Aujourd'hui, il y a aussi une extrême-droite et une droite radicale qui sont très présentes dans les médias. Ainsi, est-ce que les choses sont si linéaires que cela alors que les médias sont protéiformes et complexes à maîtriser ?

Est-ce que cette concentration des médias peut engendrer, selon vous, des dérives pour la démocratie ?

Bien entendu que toute concentration de médias pose la question de la démocratie, c'est évident. On dit aujourd'hui que 80 % des médias en France sont détenus par neuf milliardaires que sont Bernard Arnault, Bolloré, Xavier Niel etc. Est-ce que cela pose un problème de démocratie parce qu'il y a cette concentration ou parce qu'on est dans une mise en business des médias ?

Les médias sont devenus un lieu effectivement de contrainte et de conviction pour l'opinion publique, mais aussi un lieu où là on va rendre en fait bankable financièrement des idées, une pensée. La chose qui pose question, et j'en reviens à la question du business, c'est qu'en fait, si ce sont neuf milliardaires qui possèdent autant de titres, on peut penser qu'ils ont eu des convergences d'intérêt au niveau économique et au niveau du business justement, peut-être davantage qu'au niveau politique. Car politiquement, il y a peut-être de la pluralité plus qu'on ne le croit.

Il y a eu l'affaire du député Boyard qui a été insulté par Cyril Hanouna à partir du moment où il a parlé de Bolloré. Quelles leçons peut-on en tirer de ces liaisons dangereuses à la fois entre le médiatique, l'économique, le politique.

C'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure aussi que le problème démocratique est peut-être caché derrière le problème des affaires et de l'économique. Il y aura toujours un retour sur investissement financier quand Bolloré fait C8, CNews, Europe1 etc. C'est aussi bien sûr de l'influence politique, mais c'est avant tout quand même de l'économique. Maintenant, je trouve que cette affaire du député et du présentateur de TPMP, pose plus la question du buzz.

En effet, les deux sont gagnant-gagnant dans l'histoire, l'un a fait parler de lui, l'autre également. En revanche, la démocratie, le débat, les citoyens, les citoyennes ont beaucoup perdu. Cela est problématique. Mais en même temps, les citoyens et les citoyennes, aujourd'hui, sont devant leur télé en mode “médias-porn”. Évidemment, les gens dégustent et regardent ces images comme du foodporn en fait. Donc, cette espèce d'ère du “média-porn”, est ce que ce n'est pas celle-là qui est beaucoup plus problématique pour la question démocratique en définitive ? C'est un peu ce que j'ai envie de dire en définitive.

TRT Francais