Ankara a été le cataplasme et le baume apaisant du monde depuis l'incursion russe en Ukraine.

L'offensive de la Russie contre l'Ukraine en février 2022 a amené une nouvelle réalité géopolitique dans la région de la mer Noire. Avec la prise de la ville ukrainienne de Marioupol en mai, Moscou a transformé la mer d'Azov en un lac russe.

Malgré des chances extrêmement maigres , l'Ukraine a porté des coups durs à la marine russe, comme le montre le naufrage du croiseur lance-missiles Moskva, navire amiral de la flotte de la mer Noire.

Selon des informations open source, l'Ukraine a détruit au moins huit navires russes et en a endommagé quatre autres. L'attaque maritime sans équipage lancée par l'Ukraine en octobre contre des navires de guerre russes basés en Crimée, annexée par Moscou, était la première du genre dans l'histoire.

Quelle que soit l'issue de la guerre terrestre, la marine russe restera neutralisée dans un avenir prévisible en mer Noire, l'Ukraine ayant le potentiel pour devenir une puissance maritime importante à part entière de la mer Noire.

De la fumée et de la poussière de la guerre, la Turquie a émergé comme un acteur mondial majeur et crucial pour assurer la paix régionale.

La fermeture par Ankara du détroit turc aux navires de guerre étrangers, qui se dirigent vers les zones de conflit, en utilisant l'autorité accordée par la convention de Montreux de 1936, est également venue rappeler l'importance d'Ankara dans la région.

En d’autres termes, la Turquie s'est hissée au rang de puissance maritime dominante dans ses eaux septentrionales. Telle est la nouvelle réalité de la région.

L'offensive de la Russie contre l'Ukraine a vite fait de rappeler aux décideurs politiques de l'OTAN l'importance de la Turquie dans la région de la mer Noire. Et ce, pour trois raisons.

En effet, il est avantageux pour l'OTAN que l'un de ses membres ait exercé un contrôle souverain sur le détroit turc, ce qui a eu un impact direct sur la campagne de la Russie contre l'Ukraine.

En outre, la Russie ne peut pas renforcer sa flotte de la mer Noire avec des navires provenant de ses flottes du Pacifique, de la Baltique ou du Nord, car aucun de ces navires ne peut légalement entrer dans la mer Noire.

La fermeture des détroits par la Turquie aux navires russes a également compliqué la tâche au "Syrian Express", qui circulait constamment entre la Crimée annexée et la Syrie pour soutenir les opérations militaires de Moscou dans ce pays.

Certains au sein de l'OTAN ne comprennent certes pas la dynamique de Montreux et appellent à la renégociation du traité. Non seulement cela manque de vision et est pratiquement impossible, mais la renégociation du traité irait à l'encontre des intérêts de l'OTAN dans la région de la mer Noire.

En outre, il est prévu que Baykar, une entreprise privée turque qui produit les célèbres drones TB2, ouvre une usine en Ukraine. Certains drones turcs sont également propulsés par des moteurs fabriqués en Ukraine.

Enfin, les relations ukraino-turques sont également en plein essor dans l'espace maritime. Par exemple, Kiev et Ankara coproduisent les corvettes de classe MILGEM de Turquie.

De surcroît, la Turquie a été le premier - et jusqu'à présent, le seul pays - à réunir les ministres des affaires étrangères ukrainien et russe autour d'une même table depuis le début de la guerre.

Autre point qui mérite d’être souligné: le rôle joué par la Turquie dans les échanges de prisonniers entre l'Ukraine et la Russie, en particulier la libération de ceux qui ont mené la défense héroïque de Marioupol.

Toutefois, le succès diplomatique le plus remarquable à rajouter au score de la Turquie reste l’accord sur les exportations de céréales via la mer Noire conclu en octobre dernier sous la médiation d'Ankara.

Cet accord a joué un rôle important dans la prévention des famines de masse dans le Sud. Aucun autre pays que la Turquie n'aurait pu réaliser ces exploits diplomatiques.

Certaines choses ne changent jamais. Le rôle de la Turquie dans l'OTAN est irremplaçable. On en veut pour preuve cette note d'information préparée pour Margaret Thatcher au cours de sa première semaine en tant que Première ministre en 1979 et qui expliquait l'importance de la Turquie au sein de l'OTAN. En ce qui concerne la mer Noire, le document élaboré à son intention affirme :

"Si la Turquie abandonnait son orientation occidentale, cela engendrerait plusieurs conséquences militaires fortement négatives pour l'Occident, même si elle ne s'alignait pas sur l'Union soviétique. L'OTAN perdrait le contrôle que la Turquie exerce sur les goulots d'étranglement du Bosphore et des Dardanelles (détroits d'Istanbul et de Canakkale), qui donnent à la flotte soviétique de la mer Noire son seul point de sortie vers la Méditerranée". Ce qui était vrai en 1979 reste vrai aujourd'hui.

Pendant des siècles, la Russie et la Turquie ont prospéré dans la concurrence et les conflits dans les régions de la mer Noire et du Caucase du Sud. Aujourd'hui, l'histoire favorise encore davantage le rôle de la Turquie dans la région.

Il serait insensé que les alliés de la Turquie au sein de l'OTAN refusent d’admettre la nouvelle réalité géopolitique de la mer Noire et le rôle essentiel que la Turquie est appelée à jouer à l'avenir.

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