Après la publication des résultats du référendum, un délai de recours sera ouvert, dans l’attente de proclamation des résultats définitifs d’ici la fin du mois d’août, avec comme date butoir le 27 du mois (AFP)

L'opposition tunisienne s'engagera dans quelques jours dans un nouveau tournant de sa confrontation au processus du président Kaïs Saïed, qui pourrait asseoir son pouvoir, selon nombre d’observateurs, après l'obtention par le projet de la nouvelle Constitution du pays de la confiance des votants au référendum, tenu le lundi 25 juillet.

Farouk Bouaskar, président de l'Instance supérieure indépendante pour les Élections (ISIE) a annoncé l'approbation du projet de la nouvelle Constitution, qui a obtenu 94,6% des voix des 2.630.094 électeurs qui ont participé au vote sur un total de 9.278.541 inscrits, soit 30,5% du corps électoral.

Au cours d’une conférence de presse animée mardi soir, Bouaskar a ajouté que ''5.4% des votants ont rejeté le projet de la Constitution''.

Ceux qui rejettent le projet de la nouvelle Constitution estiment que le nouveau texte assoit ''le pouvoir personnel et absolu qui rétablira le despotisme'', tandis que les soutiens au texte considèrent que cette Constitution est meilleure que celle de 2014, élaborée au terme d'une révolte populaire qui avait fait chuter le président de l’époque, Zine el Abidine Ben Ali (1987-2011).

Après la publication des résultats du référendum, un délai de recours sera ouvert, dans l’attente de proclamation des résultats définitifs d’ici la fin du mois d’août, avec comme date butoir le 27 du mois.

Des dirigeants de partis, des hommes politiques et des opposants tunisiens au processus du président Saïed ont affiché leur refus des résultats du référendum et leur intention de poursuivre la confrontation face à ''l'autorité du fait accompli jusqu'au rétablissement du processus démocratique''.

Des consultations d'urgence

Le ''Front du Salut national'' a appelé dans un communiqué rendu public mardi, le président Saïed à démissionner et à ouvrir la voie à l'organisation d'élections présidentielle et législatives anticipées.

Le Front est une coalition mise sur pied à la fin du mois de mai dernier, sous la conduite du président de l'instance politique du parti ''L'Espoir'', Ahmed Néjb Chebbi.

Composé de cinq partis politiques, en l'occurrence Ennahdha, Qalb Tounes, la Coalition de la Dignité, Hirak Tounes al-Irada et l’Espoir, le Front du Salut compte également en son sein la Campagne ''Citoyens contre le coup d’Etat'' ainsi que d’anciens députés.

Dans un communiqué, le Front a considéré que Kaïs Saïed a ''lamentablement échoué dans l’obtention de l’adhésion populaire à son projet putschiste et a ainsi perdu tout motif de se maintenir au pouvoir''.

''Les chiffres annoncés par l'Instance qui a supervisé le référendum, laquelle a été mise en place par Saïed à cet effet, sont très loin de ce qu'ont constaté les observateurs locaux et étrangers, en termes de désaffection des électeurs et d’absence d'affluence aux bureaux de vote, tout au long de la journée électorale, ce qui renforce les doutes quant à la neutralité et à l'indépendance de l'Instance ainsi qu’au niveau de la crédibilité des chiffres annoncés'', précise le communiqué.

Le Front a ajouté que « la prise par la force du pouvoir par Saïed et sa falsification de la volonté populaire l’ont placé de facto en dehors du cadre du dialogue national », exhortant « l’ensemble des forces politiques nationales et civiles à lancer des consultations d’urgence en prévision de la tenue d’une conférence de dialogue national ».

L'affrontement se poursuit

Le secrétaire général du parti du Courant démocratique, Ghazi Chaouachi a dit : ''Nous avons boycotté le référendum et l'ensemble du processus que le président Saïed cherche à imposer''.

Dans une déclaration faite à une radio privée locale, Chaouachi a ajouté que ''le taux de participation et la transparence ainsi que la crédibilité du processus électoral en général suscitent des doutes, d'autant plus que les trois quarts du peuple tunisien ont boycotté ce processus'' (référendum).

Et l'ancien ministre des Domaines de l'État et des Affaires foncières de poursuivre : ''Je m'étonne du fait que les sympathisants et partisans du chef de l'État aient brandi le slogan de la victoire avec un taux de participation si bas, enregistré lors du référendum du 25 juillet. Ce n'est pas de cette façon que les régimes démocratiques sont instaurés''.

''Ainsi, les résultats n'ont aucune légitimité ni représentativité et ne reflètent pas la position de la majorité qui a boycotté'', a-t-il encore souligné.

Quant aux options offertes à l'opposition au cours de la prochaine phase, Chaouachi a indiqué : ''Nous poursuivrons notre lutte contre ce processus qui nous fera retourner au carré du despotisme. Le peuple tunisien n’autorisera pas un régime autoritaire, dictatorial et autocrate, qui ne dispose pas de plans de réformes économiques et sociales''.

Unifier l'opposition

Dans une déclaration faite à l'Agence Anadolu, le directeur exécutif du parti de ''L'Espoir'', Ridha Belhaj a souligné que ''l’unique option offerte à l’opposition consiste à lutter contre le coup d’État et la Constitution de Kaïs Saïed …À 75%, le peuple n’a pas adhéré à ce processus (référendum)''.

Et Belhaj de poursuivre : ''L’opposition doit s’unir pour faire face à ce processus illégal et illégitime, qui a initié un coup d’État contre la démocratie''.

''Nous nous attendons à ce que le chef de l’État continue sa fuite en avant en imposant une loi électorale et deux chambres parlementaires (Assemblée législative et Conseil des Régions et des Territoires) en plus de soumettre la justice et de détruire l’ensemble de l’édifice et des institutions démocratiques'', a-t-il averti.

Belhaj a ajouté que ''l'opposition unifiera ses efforts et n'a pas d'autre choix afin de pouvoir avorter le projet du président, de rétablir la démocratie et d’éviter les erreurs du passé''.

Le référendum de la semaine passée est un jalon dans une série de mesures d'exception imposées par Kaïs Saïed, depuis le 25 juillet 2021.

Le président avait également limogé le chef du gouvernement et nommé un autre, dissous le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), gelé puis dissous le Parlement, légiféré par voie de décrets-lois et annoncé l'organisation d'élections législatives anticipées, en date du 17 décembre prochain.

Des forces politiques tunisiennes considèrent ces mesures comme étant un ''coup d'État'' contre la Constitution de 2014 qui visent à instaurer un ''pouvoir autocrate absolu'', tandis que d'autres partis et forces estiment qu'il s'agit d'une ''restauration justifiée du processus de la Révolution de 2011'', qui avait fait chuter le régime de l’ancien président disparu, Zine el Abidine Ben Ali (1987-2011).

Le chef de l'État, qui a entamé un mandat présidentiel de cinq ans en 2019, a souligné de son côté à maintes reprises que ses mesures sont ''légales et nécessaires pour sauver la Tunisie d'un effondrement généralisé''.

Une personnalité consensuelle est requise

De son côté, le chef du Mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, par ailleurs ancien président du Parlement dissous, a considéré que ''l’absence de consensus constitue un péril imminent qui plane sur la Tunisie et le pays a grandement besoin d’une personnalité consensuelle, à l’instar de feu Mohamed Béji Caïd Essebsi'' (1926-2019).

Ce communiqué a été publié à la suite d’une visite effectuée par Ghannouchi à la tombe de Caïd Essebsi, ancien président de la République (2014-2019) à l’occasion du troisième anniversaire de sa mort, qui correspond au jour de la tenue du référendum.

Ghannouchi a souligné le besoin d’une personnalité consensuelle pour préserver ''l’esprit de citoyenneté et de l’unité nationale''.

Des troubles politiques et sociaux

Le secrétaire général du Parti des Travailleurs (gauche), Hamma Hammami, a pour sa part déclaré à l'Agence Anadolu, que ''le rideau est tombé lundi soir sur le simulacre de référendum constitutionnel organisé par Saïed, afin de légitimer son coup d'État et faire retourner le pays au carré du pouvoir personnel et absolu, avec des prérogatives pharaoniques qui annihilent les acquis démocratiques glanés par le peuple tunisien, à la faveur de ses sacrifices et de son sang''.

Il a ajouté : ''Les Constitutions dans tous les pays, et compte tenu de leur importance, ne peuvent pas être entérinées avec un taux de participation inférieur à 50% et dans certains pays démocratiques, ce taux pourrait atteindre les 75% au moins''.

''Face à cet échec, le président n'a d’autre choix que celui de démissionner et laisser le peuple tunisien, dont les trois-quarts des citoyens ont décidé de boycotter le prétendu référendum, déterminer seul son sort'', a-t-il ajouté.

Et Hammami de poursuivre : ''Durant la prochaine étape, si le président ne présentait pas sa démission, le pays s’engagerait dans une phase de troubles politiques et sociaux qui aggraveront la crise économique et financière déjà existante, et le prix sera payé par les franges sociales appauvries et paupérisées''.

Il a également mis l'accent sur le fait que dans le cadre de l'opposition à ce processus, ''l’ensemble des forces démocratiques, révolutionnaires et progressistes se doivent d’unir leurs rangs pour faire chuter ce processus et ce projet''.

Et Hammami de conclure : ''En tant qu’opposition, notre position est constante en termes de rejet et de lutte contre le despotisme. Nous devons unir nos rangs et nos efforts et sauver la Tunisie''.

Le projet de Saïed

La présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, a accusé Saïed de vouloir ''imposer son projet personnel au peuple tunisien et de dilapider les derniers publics''.

Moussi a estimé, dans une rencontre avec ses partisans, que les ''résultats du référendum ont battu tous les records en termes de violation de la loi et de l’État de droit et des institutions''.

''Ce à quoi a procédé Saïed, en termes d'élaboration du nouveau texte de la Constitution tout seul pour le soumettre au référendum par la suite, est une chose inacceptable et nous ne ménagerons aucun effort pour lutter contre cette démarche au cours de la période à venir'', a-t-elle ajouté.

Les partis et les personnalités politiques n'ont pas annoncé de mesures concrètes et d'échéanciers précis pour engager des mouvements et des manifestations rejetant le processus et le projet du président Saïed, mais il est probable que la prochaine étape sera marquée par des réunions de coordination entre ces forces.

AA