Pas moins de 15 anciens ministres sont reconduits dans l’actuelle équipe gouvernementale (AFP)

Construit-on du neuf avec du vieux ? Reconduit pour un second mandat après sa victoire aux dernières élections présidentielles, Emmanuel Macron a évoqué lors de la cérémonie de ré-investiture, un « mandat nouveau ». Les choses, a promis le président, vont prendre un cours nouveau, et à cette fin, « il va falloir inventer une méthode nouvelle, loin des rites et des chorégraphies usées ».

La nomination d’Elisabeth Borne, membre du précédent gouvernement depuis 2017, due peut-être à l’influence d’Alexis Kohler, tranche avec cette promesse. La constitution de la nouvelle équipe tend à confirmer le verdict : pas moins de 15 anciens ministres sont reconduits dans l’actuelle équipe gouvernementale, notamment les principaux piliers de la « macronie », Gérald Darmanin, Eric Dupont-Moretti, Bruno Le Maire, Clément Beaune.

En outre, le tour de passe-passe qui consiste à affecter à de nouveaux postes d’anciens titulaires ne suffit pas toujours à colorer le vieux avec du neuf. Ces velléités de rupture ne renvoient pas des signes disruptifs, d’autant que la nouvelle patronne du gouvernement ne bénéficie pas d’une image apte à susciter les enthousiasmes et à emporter les convictions.

Deuxième femme, après Edith Cresson (1991-1992), à accéder à Matignon, E. Borne est réputée « rigide » dans son management. Elle s’est montrée peu à son aise dans les médias. Elle aura fort à faire pour réaliser la mission dont on a bien voulu l’investir, celle de « pouvoir amadouer la gauche sans effrayer la droite ». La quadrature du cercle, en somme.

On comprend, dans ce contexte, que d’autres femmes politiques pressenties aient refusé le poste. Valérie Rabaud, Véronique Bedague. La première présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a refusé au motif que la ligne politique du gouvernement est à droite. La seconde au profil également de gauche, aurait refusé sans s’expliquer sur ses motifs. L’Elysée a néanmoins démenti avoir approché Véronique Bedague. Quant à Carole Delga, elle a assez expliqué qu’appartenant à une gauche réaliste, elle n’était pas intéressée.

Sans jamais avoir été parlementaire ou élue locale ni candidate à une élection, E. Borne se dispose à « essuyer les plâtres » les 12 et 19 juin dans le Calvados. Son élection comme parlementaire est une condition impérative de son maintien à Matignon. Elle s’est heurtée, dès sa nomination, à de fortes critiques. Pour le Rassemblement National, Elisabeth Borne incarne une politique de dévastation sociale et pour la France insoumise, elle est l’une des figures les plus cruelles de la « maltraitance sociale ».

Ainsi de nombreux nuages planent sur le nouveau gouvernement Macron. On se souvient qu’en 2017, Macron prenant acte que « l’indécence, les privilèges n’ont que trop duré », avait enfoncé le clou : « Nous voulons les mêmes règles pour tous. Nous voulons des dirigeants responsables, exemplaires ». Force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée est l’objet d’une information judiciaire. E. Dupont-Moretti doit répondre d’une mise en examen pour « prise illégale d’intérêt ». Malgré ses promesses, E. Macron le renomme garde des Sceaux. Au Congrès de Versailles, Macron avait lâché : « J’appelle à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d’innocence, avec ces chasses à l’homme » qui détruisent les réputations.

Pap Ndiaye, que vient-il faire dans cette galère ?

La seule nouveauté du gouvernement, c’est Pap Ndiaye dont la nomination a été une surprise. Brillant normalien, historien, enseignant à Sciences-Po, promoteur des Black studies et co-fondateur du Cercle d’Action pour la promotion de la diversité, Pap Ndiaye, c’est le moins qu’on puisse dire, dépare dans ce gouvernement Macron II par sa dénonciation du déni des violences policières en France, par sa stigmatisation du contrôle au faciès et du racisme endémique qui ronge la société française.

Manifestement, le nouveau ministre de l’Education nationale est partisan d’une politique, en nombre de points, opposée à celle pratiquée par son prédécesseur, adepte de l’universalisme républicain. Bon nombre d’hypothèses d’école fleurissent à propos de cette nomination : Macron vise-t-il à surmonter les déchirements de la société française, lui qui sait depuis longtemps que la société française est, de fait, multiculturelle ?

Appeler Pap Ndiaye à l’Education nationale serait-il l’expression d’un désaveu du président de la République à l’encontre des tenants d’une laïcité « pure et dure », à commencer par Jean-Michel Blanquer qui se voyait comme une sorte de « sentinelle messianique » de la République, déclarant volontiers qu’il avait « adhéré à la République en marche, pas au communautarisme en vadrouille ».

Macron veut-il tenir les « deux bouts de la chaîne » : préserver la dimension laïque, mais ne pas rester sourd aux revendications et aux suppliques de ceux que l’assimilation républicaine classique ne séduit guère ? L’autorisation du port du Burkini, votée par la municipalité de Grenoble, est peut-être de ce point de vue, un signe des temps.

Il n’en reste pas moins que la nomination de Pap Ndiaye, symbole de la diversité, pose un problème de cohérence par rapport à un président qui avait promu une loi dite contre le séparatisme. Emmanuel Macron serait-il en l’espèce amateur d’une politique centrée sur les oxymores et sur les antithèses ? Il n’en est pas de plus contradictoires que les orientations idéologiques et politiques, que celles de Jean-Michel Blanquer et de son successeur.

A cet égard, les initiatives de l’ancien directeur du Musée national de l’histoire de l’immigration seront scrutées par les observateurs avec attention. Il se peut toutefois que le nouveau ministre fasse preuve de souplesse et qu’il soit fort avare de changements brutaux. Ce ne serait pas non plus la première fois qu’on verrait un ministre « faire des arrangements » avec ses convictions.

Dans ce cas, la nomination de Pap Ndiaye serait la caution de gauche d’un gouvernement dont la principale visée serait de séduire une partie de l’électorat mélenchoniste. Il y aurait, dit-on selon des sources autorisées, nombre d’affinités et de convergences d’idées entre les deux hommes.

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