Le choc du second tour des élections législatives n’en finit pas de dérouler son imparable logique. Ce n’est pas seulement à un revers significatif de la macronie que l’on a assisté, mais à un changement de paradigme.

Le « monarque jupitérien » se voit contraint de modifier sa pratique politique. S’appuyant sur sa majorité absolue, il avait pris le pli de négliger les oppositions, de n’en faire qu’à sa tête. Son précédent mandat a accusé les traits de la prépotence. Sous son magistère, le recul des libertés a été sans précédent. Bien que la culture politique française soit allergique au consensus, le président va devoir apprendre rapidement les vertus du dialogue et l’art du compromis. « Nos partenaires (européens) ont l’habitude des gouvernements sans majorité absolue, ça ne les affole pas ; ça nous affole nous, car on ne sait pas faire » déclare Alain Lamassoure, ancien ministre délégué aux Affaires européennes.
Belle leçon, car les autres pays européens, l’Allemagne notamment, possèdent cette qualité qu’ils sont rompus au dialogue, alors que la France, avec sa Ve République, pâle réplique d’une monarchie absolue, se plaît à cultiver la nostalgie des empires. Jamais depuis 1949, l’Allemagne n’a
connu de pouvoir discrétionnaire. Tout y est conçu, au contraire, pour éviter les concentrations de pouvoir. Alors qu’en France, c’est un tropisme que les « présidentiables », depuis De Gaulle au moins, désirent un État fort et des majorités absolues.
Las ! le vote des Français a brisé les espérances d’Emmanuel Macron. La nouvelle Assemblée ne sera pas constituée de députés godillots, de bénis oui-oui. On peut se réjouir qu’elle soit, une fois n’est pas coutume, l’émanation du pays et qu’elle en reflète les fractures, les divisions. Peut-être qu’enfin les citoyens se sentiraient-ils représentés !
Récusant les reproches qui lui sont faites, E. Macron assure que « La France sait faire des compromis. On passe notre temps, y compris votre serviteur, à en faire ici [en Europe]. Pourquoi ne serions-nous pas capables d’en faire à Paris ».

Cette déclaration dissimule mal sa déception. Macron n’a pas digéré sa déroute électorale, lui qui pensait recueillir sans coup férir une majorité confortable de députés. Parce que le président réélu subit de plein fouet le désaveu, sa conversion au compromis paraît artificielle. D’où des accrocs, des maladresses, des échecs prévisibles, compte tenu de sa personnalité et de celle de son chef du gouvernement, qui n’est pas une « femme de dialogue ». Les réformes qu’elle a conduites dans son ancien ministère ont prouvé qu’elle n’a aucune sympathie pour la situation des chômeurs et des plus démunis. Autoritaire, elle est mal armée pour affronter les séismes futurs.

À ce sujet, Laurent Joffrin disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, juge qu’Elisabeth Borne est « nulle”. Si Joffrin concède à Borne une compétence technique; elle serait en revanche tout à fait dépourvue de sens politique. La première des ministres aurait le tort de “parler comme un robot, comme un répondeur téléphonique des années 1980”. Elle aurait, conclut-il, le “charisme d’une machine à café” et ne serait pas habitée par ce “feu” qui emporte les convictions. Qu’elle ait choisi de ne pas demander le vote de confiance de l’Assemblée aurait tendance à confirmer qu’elle n’est pas une amazone de la politique. Cet avis semble curieusement être partagé par le président : « Je savais en la nommant que ce ne serait pas une cheffe de guerre », aurait-il déclaré.

L’embarras du président de la République est grand. Si son dessein est de former un « gouvernement d’action », une incertitude plane sur le sort de bien des ministres nommés après sa réélection. S’il est certain que Brigitte Bourguignon, Amélie de Montchalin, respectivement ministres de la Santé et de la Transition écologique devront « rendre leur tablier », les autres ministres ne savent à quel saint se vouer touchant leur avenir. Cette situation d’attente leur pèse.

On a le sentiment que le pays est à l’arrêt, car ce n’est pas parce que l’on communique que l’on agit. L’impression prévaut qu’il ne se passe rien. Fini le temps où un projet de loi concocté entre l’administration et la majorité macroniste était certain d’être adopté. Toutes les initiatives du gouvernement ne peuvent devenir réalité que si elles passent sous les fourches caudines de l’opposition.
Cette période d’incertitude est des plus dommageables pour la macronie. Qu’en sera-t-il de sa réforme fétiche, celle des retraites ? Sera-t-elle assouplie ou mise sous le boisseau ?
Le « Conseil national de la refondation », dont Macron avait parlé, est-il renvoyé aux calendes grecques ? La loi que prépare le ministre de l’Intérieur, dite Loi de modernisation de la police, verra-t-elle le jour ? Et que faire à propos des grandes questions de l’éducation, de l’écologie, de l’hôpital qui ne peuvent attendre, tant l’urgence est grande. Entre temps, le pays connaît une inflation galopante qui rogne le budget des Français et attise les mécontentements.
Des textes sur le pouvoir d’achat, sur l’indexation des retraites sur l’inflation seront une première épreuve de vérité pour Elisabeth Borne. Pour faire aboutir les réformes, il faudra des alliés. Comme E. Macron vient de déclarer qu’il ne compte pas LFI et le RN comme des formations de gouvernement, on doit donc en déduire qu’il cherchera principalement des alliés chez les LR. Sauf que ce mouvement, dont Macron a orchestré la déchéance, est profondément divisé. Une minorité infime pourrait suivre J-F Copé et collaborer avec la majorité ; d’autres en revanche plus radicaux penchent vers le RN quand certains militent pour sauvegarder une indépendance d’ores et déjà compromise. Les contacts pris par O.Véran, ministre des Relations avec le parlement, et par G. Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’ont pas été concluants. Les choses paraissent compliquées, à moins de conspirer à disloquer davantage le groupe LR. De toute façon, comme le dit un édile de la majorité, « il ne faut pas se faire d’illusions, l’opposition ne nous fera pas de cadeaux ».

TRT Francais