On n’en finit pas de parler du dossier nucléaire iranien, si bien qu’il semble devenu inextricable. Pour mieux comprendre les dynamiques diplomatiques autour de ce sujet, TRT Français a rencontré Michel Makinsky, géopolitologue au sein de l’IPSE.

Pouvez-vous rappeler les positions des différents acteurs du dossier du nucléaire iranien, notamment celle des Etats-Unis ?

Joe Biden, il faut le rappeler, a été élu sur la promesse de parvenir rapidement à un accord permettant le retour à ce que l'on appelle “l’accord de 2015”. Il est surprenant de voir qu'il n'a pas pu saisir l'occasion de la présidence Rohani pour conclure cet accord. Plusieurs causes l’expliquent :

1) la difficulté à arrêter une position américaine claire sur ce dossier

2) la marge de manœuvre limitée de Biden face au Congrès américain.

Ces deux causes font qu'une occasion a été ratée. De plus, Biden a eu ensuite devant lui des interlocuteurs iraniens beaucoup plus coriaces qui ont fait monter les enchères. Mais malgré tout, les Américains ont compris qu'il fallait avancer en vue d’un accord. En effet, les risques d’une montée de tension poussée par les Israéliens ou d’une poursuite du programme nucléaire iranien hors contrôle sont réels. Aujourd'hui, nous avons un document de plus de 20 pages qui est bouclé, à quelques détails près. Cependant, les élections de mi-mandat aux Etats-Unis obligent Biden à faire des concessions aux ultraconservateurs et aux Israéliens. Biden essaie de lâcher du lest, mais on sent qu'il a vraiment envie d'aboutir à un accord.

Comment se positionne l’Union Européenne ?

Elle joue un rôle de middle man tout en ayant durci ses positions. On l'a observé notamment lors de différentes séquences des réunions à l'Agence internationale pour l'énergie atomique. Emmanuel Macron a fait, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, des propositions d'ouverture au président iranien Raïssi, mais qui, apparemment, n'ont pas été accueillies avec beaucoup d'enthousiasme, précisément parce que les Iraniens ne veulent pas perdre la face. Les trois pays Européens que sont la France, l’Allemagne et l’Angleterre affichent une position relativement dure, voulant ne pas paraître céder trop aux Iraniens et surtout ne voulant pas s’éloigner de la position des États-Unis. Cela ne contribue pas à faire avancer les choses. Emmanuel Macron a compris que ça ne pouvait pas coincer indéfiniment. C’est ce qui explique ses efforts et ses propositions.

Vous dîtes que 99 % du texte de l’accord est à peu près bouclé. Sur quels points les Iraniens bloquent-ils ?

Les Iraniens bloquent sur trois points. Premier point, ils demandent des garanties au sujet de l’accord afin qu’il soit appliqué concrètement durant le mandat de Biden et ceux de ses successeurs. Les Iraniens souhaitent exporter leur pétrole sans qu’il y ait d’obstacles pour encaisser les recettes. Or, là, Biden ne donne pas de vraies garanties sauf celle que l’accord serait respecté durant le reste de son mandat, soit deux ans.

Deuxième point, les Iraniens souhaitent des garanties juridiques et politiques que l'accord permettra la fin des sanctions. Biden peut supprimer ou suspendre les Executive Orders mais il n’a aucune prise sur les sanctions primaires qui visent théoriquement les entreprises et personnes physiques américaines en leur interdisant en gros de faire du business ou des activités avec l'Iran. Sur ces dernières, c'est le Congrès qui a le pouvoir et il n'acceptera jamais de les lever.

Troisième point, Il y a un problème sérieux avec l'Agence internationale pour l'énergie atomique. En effet, il y a une fixation sur un point lors d'une inspection, il y a déjà quelque temps, durant laquelle les inspecteurs ont trouvé, dans trois sites non déclarés, des traces d'uranium. Ils ont demandé des explications, mais les Iraniens refusent toujours de les donner. Il y a eu une reprise des négociations lors de la réunion annuelle de la conférence de l'Agence internationale pour l'énergie atomique. Les négociations ont repris dans la plus grande discrétion. On ne sait pas si elles vont aboutir, mais la bonne nouvelle, si je puis dire, est qu'elles ont repris.

Quel rôle pour la Russie qui a toujours été un acteur majeur dans ce dossier ces dernières années ?

La Russie soutient de toute façon le retour à l’accord de 2015. Pour une raison très simple, c'est que la Russie ne veut pas d'un Iran doté d'un arsenal nucléaire. Elle joue encore un rôle de facilitateur et les interventions des diplomates russes vont tout à fait dans ce sens. Il y a eu, à un moment donné, un petit soupçon des Iraniens au sujet des Russes à savoir si ces derniers n'appuyaient pas sur la pédale de frein volontairement. Pourquoi ? Parce que les Russes redoutaient et redoutent encore le retour de l'Iran sur le marché pétrolier. Les Russes, évidemment, essayent d'exporter leur pétrole bon marché. Mais, apparemment, ils ont dû trouver un modus vivendi et le sujet ne semble plus vraiment à l'ordre du jour. D'autant plus que la question a évolué depuis le conflit ukrainien.

Comment se positionne Israël par rapport au projet d’accord sur le nucléaire iranien ? On observe des efforts désespérés des Israéliens pour le torpiller. Israël pourrait faire des frappes militaires si jamais il y avait un retour à l'accord de 2015. Le pays a très peur que finalement Biden fasse cet accord sur son dos. Ainsi, ce serait un échec politique, national et international, majeur en Israël.

Et enfin sur l'Arabie Saoudite ?

En Arabie Saoudite, il se passe des choses très importantes. On assiste depuis un certain temps à des tentatives de diminution des tensions avec l’Iran. C'est très important parce que, contrairement à ce que pensent certains observateurs, le dossier des relations irano-saoudiennes est presque au moins aussi prioritaire pour les Iraniens que le dossier nucléaire. Il y a un document qui est déjà prêt, rédigé en dix points et en cours de discussion, entre les deux pays sous médiation irakienne. Les négociations avancent lentement, mais elles avancent. Les Iraniens sont plus pressés que les Saoudiens. Les Iraniens voudraient rouvrir tout de suite les ambassades. Les Saoudiens vont vouloir prolonger, tester le bébé et l'eau du bain, en négociant d'abord une réouverture d'un consulat. Côté saoudien, on sent avec les incertitudes américaines qu’il faut baisser la tension. Il y a eu un tournant dans la posture saoudienne dans un contexte de marché pétrolier très perturbé. Les Saoudiens veulent que l'outsider iranien rentre un peu dans le rang sur un certain nombre de dossiers énergétiques. De plus, je suis convaincu que des deux côtés, saoudien et iranien, il y a des gens qui ont envie de reprendre les transactions commerciales.

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