Le chassé croisé de Paris entre Alger et Rabat (Reuters)

Les relations entre les deux pays, malgré les élans passionnels contenus, de part et d’autre, ne s’inscrivaient pas dans la normalité, dû à un passé composé.

Il y eut l’intermède de Chadli- Mitterrand, qui avait marqué une embellie, intermède passager. Le legs du passé pesait. A l’époque, à Rabat, on avait craint un recentrage de la politique de Paris, avec un président socialiste au profit d’Alger. Hassan II s’était envolé à Paris, en 1982 et avait lancé cette phrase qui a fait date en réponse à un journaliste sur l’éventualité d’un rapprochement au profit d’Alger qui serait au détriment du Maroc : "On n’est pas des concubines". Phrase qui dévoile ce qu’elle voulait cacher.

Rabat jouissait de relations exemplaires avec Paris, entachées par moments sur le dossier des droits de l’homme. Vu d’Alger, Rabat se serait mué en une Algérie de substitution des nostalgiques de "l’Algérie française", au dire d’un haut responsable algérien, dans une déclaration fuitée par Wikileaks. Alger a toujours été agacée par le traitement de faveur que Paris réservait à Rabat.

Si Chirac, qui s’est rendu en Algérie en 2003, avec l’adoption d’un traité d’amitié avec l’Algérie, et fut accueilli en grandes pompes à Bab el Oued, œuvrant pour un rééquilibrage entre les deux capitales maghrébines, le cœur était pour Rabat. Sarkozy dans ses mémoires avait fait le parallèle entre un souverain qui aime la France, et une Algérie qui fait toujours dans les remontrances et les palinodies. L’hésitation n’a pas lieu d’être.

C’est avec Macron que les choses commencent à changer. Il choisit, alors qu’il était candidat, de lancer sa phrase, qui allait faire mouche, que le colonialisme est un crime contre l’humanité. Il se démarquait nettement de ses aînés et de Chirac, qui avait à un moment, parrainé un projet de loi sur les aspects positifs du colonialisme (février 2004), vite retiré.

Macron incarne en France une nouvelle génération de responsables, qui n’a connu ni les affres de la guerre de libération ni son traumatisme, ni porte ses séquelles. Mais entre la coupe et la lèvre, il y a un monde.

Macron a effectué deux visites, au Maroc, l’une pour inaugurer le TGV, et une autre d’amitié qui a coïncidé avec le Hirak dans le Rif, où le président a choisi ses mots, s’inscrivant dans l’orthodoxie des relations exemplaires entre Rabat et Paris. Le roi Mohammed VI, dans un discours du trône en 2019, a considéré les relations du Maroc avec la France et l’Espagne, comme étant stratégiques.

Mais la raison a ses raisons, auquel le cœur ne résiste pas. Paris est agacé sans trop l’afficher du rapprochement de Rabat avec Washington depuis la signature des accords d’Abraham (décembre 2020), puis par ce que la presse avait ébruité sur une éventuelle écoute des responsables français par le programme Pegasus. Enfin, et cela est important dans les relations entre Rabat et Paris, le peu d’atomes crochus entre le souverain marocain et le président français.

Macron ne traîne pas de sentiment de culpabilité et agit en chef d’Etat et non en parrain, comme le faisait Chirac, vis-à-vis de Rabat. Le président français - dans une tendance généralisée, au sein du Quai d’Orsay, et des services de renseignements extérieurs, voire des faiseurs d’opinion - voudrait des relations normalisées et apaisées avec Alger.

Lors du discours du trône (31 juillet 2021), le souverain marocain avait osé l’inimaginable, érigeant les relations entre le Maroc et l’Algérie, à deux siamois, et s’en prenant à un "corps étranger" sans le nommer, qu’il a tenu pour responsable de la détérioration des relations entre les deux pays. De Paris, un tel jugement ne pouvait tomber dans l’oreille d’un sourd.

L’Algérie a gagné en respectabilité depuis le Hirak. Vu de Paris, une nouvelle Algérie s’est dégagée, avec une jeunesse tournée vers l’avenir. Certes, entre-temps, le dossier de la mémoire traînait et le rapport Stora était considéré par Alger en deçà de ce qu'elle escomptait, renvoyant la copie, et considérant le rapport Stora franco-français. Il y eut même une déclaration malencontreuse d’un ministre algérien taxant la France, d’ennemi héréditaire d’Alger.

Macron avait réagi en critiquant l’usage de ce qu’il a appelé "la rente mémorielle". Il a enfoncé le clou, reprenant l’antienne des colonialistes, sous forme interrogative sur l’existence d’une nation algérienne. Dans la foulée, il a rendu hommage aux familles des Harkis, et a exprimé le repentir de la République à leur endroit.

Mais l’eau a coulé sous les ponts, et le grand bouleversement des relations internationales a soufflé sur la région de l’Afrique du Nord.

Il y a bien sûr des données objectives qui tiennent au grand chambardement des relations du monde, la tradition gaulliste de la France qui rechigne à se mettre sous le manteau des Etats-Unis, mais il y a aussi l’affect, et les relations franco-algériennes sont frappées par le sceau de la passion.

La dernière visite du président français en Algérie inaugure, sans conteste, une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. On y met la forme, bien sûr, sans se montrer excessif, mais on ne cache pas sa satisfaction, de part et d’autre.

Dans un geste de rééquilibrage, Macron au sortir d’un festival, par une manière jugée cavalière, a annoncé une prochaine visite au Maroc. Les milieux officiels à Rabat n’ont pas réagi à l’annonce de la visite. Mais c’est plutôt un organe proche de milieux influents qui s’est épandu sur les "dommages collatéraux" du rapprochement de Paris et d’Alger, rappelant tout le tort que la France coloniale avait causé au Maroc, en le réduisant à une peau de chagrin. Il appelle, par un parallélisme des formes, à une relecture de l‘histoire entre les deux pays.

Décidément, l’histoire a plus d’imagination que les pauvres mortels, fussent-ils des décideurs. Elle bouge, tout comme la terre qui tourne.

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