Félix-Tchicaya: un dilemme africain, s’affranchir de la tutelle sans tomber dans le despotisme / Photo: TRT World (TRT World)

L’Afrique souhaite prendre son destin en main. Les prises de position des élites et des peuples donnent des signes de convergence autant que les discours offensifs observables dans les manifestations de rue ou dans les réseaux sociaux. Entretien avec Jean-Claude Félix-Tchicaya, chercheur à l’IPSE (Institut prospective et sécurité en Europe) spécialiste de l’Afrique.

Les derniers coups d'Etat observés au Mali, en Guinée, au Burkina Faso semblent montrer une volonté politique et militaire des pays africains francophones de choisir à la fois leur destin et leurs partenaires stratégiques. Comment expliquez-vous cette affirmation géopolitique de l’Afrique francophone ? Est-ce qu'elle a une profondeur historique ou est-ce un élément qui surgit sur la scène géopolitique?

Il faut vraiment l'aborder, comme vous le faites, avec une certaine culture historique. Ce n'est pas quelque chose qui surgit mais cela a une histoire. Prenons l’exemple de la Françafrique qui est d'abord une cofondation avec quelques présidents africains et la France coloniale puis postcoloniale. Il y a eu une co-animation qui, au péril des peuples africains francophones, a perduré pendant des décennies. Aujourd’hui, il y a une géopolitique des peuples très dynamique qui ne s'embarrasse plus de sortir dans la rue ou sur les réseaux sociaux pour dire stop à toutes les tutelles. C'est-à-dire à toutes les tutelles des régimes despotiques et autoritaires voire impérialistes, intérieurs et extérieurs, ne répondant pas aux intérêts de la nation et des citoyens. Et là, on voit bien que toute la problématique sur l'influence russe ou française démontre qu'il y a une vision touchée par une certaine cécité ou complètement erronée. On fait comme si les peuples africains avaient délégué leurs cerveaux à la France, la Russie ou la Chine. C’est bien une nouvelle Afrique qui remonte à la génération 2000. Cette dernière dit, au regard de l'histoire, qu’il est hors de question de subir ce que leurs parents subissent encore. Cette génération répond à un besoin de dignité politique, c’est ce que je nomme la géopolitique des peuples. Cette géopolitique peut être accompagnée par des militaires. En effet, il y a aussi malheureusement des enjeux en termes de sécurité et de sûreté face au terrorisme par exemple. Ce qui est demandé parfois par les Africains est un pouvoir bicéphale : militaire et politique.

Du point de vue africain, pourquoi se tourne-t-on vers la Russie? Est-ce pour faire jouer la concurrence vis à vis de la France? Ou est-ce peut-être cette première étape qui permettra de diversifier les partenaires stratégiques?

Alors du point de vue africain, c'est impossible de le dire parce que tous les Africains ne sont pas d’accord sur les perspectives. Premièrement, certains ne veulent pas se tourner vers la Russie, par principe, car le pouvoir Poutine est un pouvoir despotique. Cela leur rappelle ce qu'ils subissent eux aussi. Deuxièmement, d’autres souhaitent se tourner vers la Russie comme modèle de régime autoritaire. Troisièmement, il y a ceux qui optent pour un détour russe afin de dire à la France stop! Les Africains veulent, avant tout, renouveler tous les partenariats politiques, philosophiques et économiques avec tous : France, Russie, Chine, etc. C'est bien de cela qu’il s’agit car on ne peut pas fustiger et dénoncer la Françafrique, qui serait chassée par la porte, et se taire face à la Russie ou la Chine, qui passeraient par la fenêtre.

Pour vous, est ce que la CEDEAO peut jouer un rôle dans cette géopolitique des peuples?

Malheureusement, il y a une dichotomie au sein de la CEDEAO entre ce qu'elle est et ce qu’elle devrait être, notamment quand elle soutient des nouveaux mandats politiques au nom de la stabilité. Ce qui est important pour les sociétés civiles africaines, c'est la diversification des partenariats sans infantilisation et en respectant l’autonomie de penser des Africains. Sinon, cela rappellera, sans anachronisme aucun, la colonisation ou la post-colonisation. On ne peut plus aujourd’hui expliquer à 1 400 000 000 d'Africains ce qu'ils doivent faire et penser. Ces derniers veulent, quel que soit le partenariat, un débat interne et dire à tous (France, Russie, Chine ou autres) ce qu’ils pensent. C’est-à-dire que les Africains souhaitent rappeler que toutes les visions impérialistes, faisant de l'Afrique un terrain de jeu d'influences géopolitiques, n’ont pas leur place dès lors que leurs intérêts ne respectent pas celui des citoyens africains.

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