Gurcan Okumus, directeur de l'Institut de recherche et de développement de l'industrie de la défense (TUBITAK SAGE), nous explique comment l’industrie de la défense turque est devenue une force mondiale.

Comment la Turquie a-t-elle développé son industrie de la défense ?

Cette industrie a connu différentes périodes depuis la création de la République de Turquie. Il y a eu des périodes d'essor, de déclin et de stagnation. Elle a connu de grandes avancées ces dernières années mais il ne s'agit pas de projets qui viennent de démarrer.

Dans les années 1980, des mesures ont été prises notamment avec la création du sous-secrétariat aux industries de défense sous la présidence de Turgut Özal. Par la suite, des études ont été réalisées par diverses entreprises, instituts et fondations de l'industrie de la défense. Il y a eu un tournant en termes d'accélération et de production de résultats plus efficaces : le 14 mai 2004 avec les décisions du Conseil exécutif de l'industrie de la défense. Des décisions ont été prises, alors que notre président Recep Tayyip était premier ministre, pour mettre en œuvre tous les projets qui étaient censés être réalisés soit en procédant à des achats ou des transferts de technologie, avec des installations nationales et domestiques et dans nos propres entreprises. La dynamique s'est ainsi accélérée. De nombreux projets ont vu le jour et l'émergence d'un projet avec l'expérience, le talent et la capacité acquis ont permis de le transposer très rapidement dans un autre projet. Ces dernières années, nous avons en fait vu les fruits des graines semées au début des années 2000.

La Turquie devient-elle un pays exportateur dans l'industrie de la défense ?

La Turquie dispose de certains avantages et a mis en œuvre des méthodologies. Dans nos projets, nous respectons presque toujours les normes de l'OTAN et respecter ces normes exige de développer des produits de très haute qualité.

Etant donné la conjoncture, la situation stratégique et la position géographique de la Turquie, nous utilisons nos propres produits dans nos opérations, ce qui fait que presque toutes les technologies que nous développons ont fait leurs preuves dans un environnement de combat.

Nous pouvons aussi avoir un avantage en termes de coût et de prix pour de nombreux produits.

Lorsque vous exportez un produit, vous l'exportez essentiellement avec tous ses sous-systèmes. Par exemple, les avions russes ne peuvent larguer que les bombes du système russe, tandis que les avions du système de l'OTAN ne peuvent larguer que les bombes du système de l'OTAN. En tant que propriétaires du produit, les articles que nous vendons auront des sous-systèmes et des munitions approuvés par nous. Cela portera notre potentiel d'exportation à un niveau beaucoup plus élevé.

En raison de la situation géographique de la Turquie, nous sommes aussi en mesure de viser de nombreuses zones, au niveau de l’exportation, que ce soient des liens fondés sur l’histoire ou des liens stratégiques différents avec des pays auxquels l'Occident ne vend pas ou avec lesquels il ne veut pas négocier certaines subventions.

En tenant compte de tous ces éléments, les exportations turques dans l'industrie de la défense ont fait des percées significatives ces dernières années, et continueront probablement à augmenter à l'avenir.

Comment les avancées réalisées en matière d’industrie de la défense pourront-elles contribuer à renforcer la position d’Ankara sur la sphère internationale?

Notre force dans l'industrie de la défense nous a permis d'échapper aux embargos. Si vous savez que vous pouvez soutenir votre propre armée et vos propres opérations grâce à votre propre industrie de la défense, cela vous rend fort.

En plus des armes, la Turquie a atteint le stade de la dissuasion. Alors que nous avons commencé avec des produits basiques, nous parlons maintenant de systèmes hypersoniques réalisés parce que nous disposons de la technologie. Si nous ne disposons que d’armes sans avoir la technologie, elles auront une durée de vie, un nombre limité d'utilisations et ne fourniront jamais la dissuasion souhaitée. Cela nous rend évidemment plus forts sur la scène internationale. Etre fort dans l'industrie de la défense permet également d'être fort en matière de politique étrangère et de relations internationales.

Est-il possible que les problèmes du F-35 aient poussé l'industrie turque de la défense à se développer par ses propres moyens ?

Le projet F-35 est une question qui doit être évaluée de manière exhaustive. Il a certainement créé des points de rupture importants. Mais si nous essayons de l'examiner d'un point de vue positif, les ressources allouées ont peut-être permis de soutenir davantage notre propre avion de combat national, l'avion Kaan. Nous avons peut-être accéléré des projets tels que le Hürjet. Cela a eu un impact sur nous en termes d'accélération des processus et du calendrier de notre propre avion. Dans la conjoncture actuelle, nous allons maintenant nous occuper de nos propres projets.

Les technologies les plus récentes ont-elles bénéficié de la coopération des pays alliés ou seulement de la recherche nationale turque ?

Nous devons examiner la situation selon les périodes. Au cours du processus de développement de l'industrie de la défense en Turquie, surtout après les années 70, nous avons mené certaines études avec nos alliés occidentaux. Il s'agissait parfois d'un transfert de technologie, parfois d'une fourniture de produits.

Mais dans la période récente, il y a eu un travail très limité en termes de collaboration et de soutien avec les pays alliés. La collaboration concerne peut-être la fourniture de certains produits, mais le soutien technologique en termes d'ingénierie est très limité et basé sur des projets. On peut dire que l’avancée de ces dernières années a été réalisée en grande partie grâce à nos propres ingénieurs, à nos propres technologies développées et à nos propres infrastructures. Bien sûr, on ne peut pas tout faire tout seul. S'il y avait eu une plus grande coopération, nous aurions peut-être pu réaliser certains de nos projets plus rapidement.

Comment interprétez-vous le grand intérêt du public pour le TEKNOFEST ?

Le TEKNOFEST est organisé depuis 2018 et s'améliore d'année en année. Cet événement suscite un très grand intérêt. En tant que TUBİTAK SAGE, nous sommes l'un des principaux partenaires et on remarque qu’il y avait vraiment un tel besoin. C'est devenu une plateforme très importante qui permet aux étudiants universitaires de s'améliorer dans les activités d'ingénierie technologique. Nous allons devenir une marque non seulement en Turquie mais aussi dans le monde. Nous voyons de nombreux visiteurs locaux venant de Turquie, mais également de l'étranger juste pour être là pendant le TEKNOFEST.

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