La voix du sociologue et historien Jean Baubérot recadre un débat sur la laïcité largement dévoyé (Photo, Nadia Henni-Moulai) (Others)

La loi de 1905 n’aura pas lieu, Histoire politique des séparations des Églises et de l’État (1902-1908), éditions de la Maison des sciences de l’Homme. Historien et sociologue de la laïcité, Jean Baubérot publie le troisième tome d’une étude approfondie consacrée à la laïcité. Une ressource précieuse pour comprendre ce texte, son application et surtout l’esprit de la loi.

La loi de 1905 n’aura pas lieu, somme sociologique et nécessaire pour saisir l’histoire, la loi, sa promulgation et son application depuis 1905. Si les deux premiers tomes de cette fresque historique relatent le chemin tortueux vers la loi de 1905, dans ce dernier tome, Jean Baubérot montre que la promulgation du texte s’est accompagnée de résistances de l’Église catholique à commencer par le Pape. Or, et c’est là l’un des intérêts de l’ouvrage, la loi de 1905 ne s’est pas faite contre les catholiques, culte majoritaire en France à l’époque.

Jean Baubérot montre bien comment le politique, incarné par trois figures clés- Georges Clémenceau, Jean-Jaurès et Aristide Briand- s’est efforcé d’empêcher la société française de sombrer dans une énième guerre religieuse, “la fin du service public du culte” du 1er janvier 1906 ayant été vécue par les prélats catholiques comme “un jour de deuil” voire la fin de l’existence de Dieu…Des mots si forts qu’ils en friseraient presque la caricature vue de l’époque actuelle mais qui illustre l’enracinement jugulaire du culte à l’État français. Dans ces conditions, comme le souligne, Jean Baubérot, on saisit donc la prouesse des autorités, celle d’avoir su pacifier une société.

C’est en cela que le texte de J.Baubérot percute notre époque et ses atermoiements au sujet de la laïcité. Mais débats et polémiques ne riment pas toujours avec qualité et connaissance. D’ailleurs, et contrairement à une croyance devenue loi, la loi de 1905 clarifie la relation entre État et Église “plutôt qu’elle ne met cette dernière au pas”, comme l’explique le sociologue. “La légende dorée républicaine” emportant “la légende noire catholique” relève, on l’apprend, de la mythologie. En d’autres termes, “la laïcité ne s’est pas faite contre l’Église catholique”. Au contraire, explique Jean Baubérot, “la loi et son chemin se sont faits au service d’une mission pacificatrice de la société française”. Un propos à la limite du paradoxe à la lumière de notre époque et qui résonne davantage dans l’espace scolaire, la loi de 2004 ayant marqué l’un des points d’orgue de la relation des Français à la laïcité. De sanctuaire républicain, l’école s’est muée au fil des trois dernières décennies en temple des angoisses françaises. Comme si l’école était le curseur privilégié pour sonder la laïcité en France. Son recul, surtout.

Dans un entretien, le 13 mars, à l’hôtel Matignon avec la presse, le Premier ministre, Gabriel Attal, s’est inquiété de la laïcité “plus que jamais”. Un discours en phase avec le consensus admis dans la sphère politico-médiatique française. Un consensus que nuance voire étrille Jean Baubérot. “Quand on parle d’atteinte à la laïcité, il faudrait distinguer. Quand le port d’un vêtement ne s’accompagne pas de prosélytisme, de refus de la discipline, finalement en quoi cela menace la laïcité ?”, interroge le sociologue, qui fut membre de la commission Stasi installée sous la présidence de Jacques Chirac, le 3 juillet 2003 et qui débouchera sur la loi du 15 mars 2004.

A ce discours alarmiste, Jean Baubérot oppose sur la base de son enquête fournie, un concept, celui de “laïcité immergée dont personne ne parle, celle qui va bien et les 10% de la laïcité émergée apparaissant à tout le monde comme centre du problème…”, tempère-t-il. Un nœud associé depuis trente ans à la population française de culture musulmane. A tel point que bon nombre d’entre eux, s’ils sont légalistes et respectueux de la loi, regrettent la dimension stigmatisante des discours parfois violents portés par une frange laïciste et radicale des politiques et commentateurs.

“Fort heureusement, je ne pense pas que l’on puisse dire que la laïcité française soit contre l’islam. Il y a des choses qui ont relativement bien fonctionné”. Et le sociologue de citer, “l’armée française, avec la création d’aumôniers militaires musulmans qui, maintenant, fonctionne bien. C’est important parce que l’armée défend la France contre les périls extérieurs”.

Côté culte, Jean Baubérot rappelle aussi que la construction de mosquées s’est développée comme exemple supplémentaire de “ce qui fonctionne et montre que la laïcité n'est pas, globalement contre l’islam”. Pour autant, le sociologue reste prudent. “La crainte d’un islam politique, d’un attentat terroriste. Tout le problème est de savoir quelle est la méthode la plus efficace pour savoir comment contrer ce que toutes les religions ont, ce côté qui voudraient imposer la loi religieuse sur la loi civile. Je suis d’accord pour séparer religion et politique mais il faut veiller à ce que chaque personne puisse respecter sa religion”.

Un difficile équilibre, entre instrumentalisation politique et dérives constatées, que Jean Baubérot pointe.

Emile Poulat, historien du catholicisme, décédé en 2014, résumait tout l’enjeu en une phrase : il y a la laïcité dans les têtes et la laïcité dans les textes”. Une maxime que reprend Jean Baubérot. “Les textes, c’est le corpus juridique, les lois, la jurisprudence. Et puis la laïcité dans les têtes renvoie à ce que chacun a de ce concept et les conceptions sont multiples. En 1905, on parlait d’une macédoine de laïcité car chacun avait sa conception. Chacun a le droit d’avoir son avis mais ce qui est la règle à observer, c’est la laïcité dans les textes”.

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