Art et jeunes : quand la passion des enseignants-artistes les réunit (Getty Images)

Souvent, ces lieux de culture sont pointés du doigt pour leur manque d’ouverture supposé auprès de la jeunesse alors que beaucoup d’enseignants-artistes tentent, non sans difficultés, d’aller vers elle et de créer des passerelles avec les établissements scolaires. Passionnés, ils tentent de transmettre la joie et le plaisir d’assister à un opéra ou une pièce de théâtre quelque soient les entraves d’ordre social, économique ou culturel. Pour mieux comprendre ce qui les anime, TRT Français est allé à la rencontre d’Eugène Fresnel, enseignant-artiste, qui tente par ses ateliers dans les collèges et les lycées de démocratiser l’accès à la culture.
Vous êtes à la fois professeur de lettres modernes, baryton, comédien et intervenant dans les établissements scolaires. D’où vient votre passion pour la littérature, le théâtre et l’opéra ?
En fait, cela vient de très loin. Quand mon père était encore étudiant, il adorait Moussorgski pour l’opéra de Boris Godounov et surtout l’extrait de la mort de Boris. J’ai dû l’entendre des centaines de fois sur le gramophone à l’époque. Cette voix puissante et ample s’élevait dans le petit appartement où nous vivions, elle m’a vraiment impressionné et même fasciné. Ma passion pour l’opéra vient de là, en tout cas pour la voix. Cependant, à l’adolescence, je suis surtout intéressé par le jazz que je chantonnais systématiquement. Des voix comme celles de Louis Armstrong et des instrumentistes comme Miles Davies ont nourri ma passion du jazz. L’opéra est revenu en force à l’âge adulte, un soir de juillet, j’avais 27 ans. Ce fut un véritable choc, une voix semblait surgir de nulle part puis elle envahissait tout l’espace. J’en eus des frissons et depuis cette passion ne m’a jamais quitté. J’ai pu, durant ma carrière d’enseignant, la faire partager à mes élèves, grâce à un contact au sein du rectorat qui nous a permis de nous rendre régulièrement dans des salles aussi prestigieuses que l’Opéra Comique ou l’Opéra Bastille. En ce qui concerne le théâtre, j’ai toujours été passionné de littérature au sein de laquelle la dramaturgie tient une grande place. En tant qu’étudiant et enseignant, j’ai monté plusieurs clubs de théâtre. La parole vivante, qui prend corps et sort du texte écrit, est formatrice pour les élèves car porteuse de sens et d’émotions.
Vous avez fondé l’association CELYTO (Culture et lyrique pour tous), quelles ont été vos motivations et quels sont les buts de l’association ?
J’ai fondé l’association CELYTO en 2016 car je voulais transmettre ma passion pour l’opéra aux jeunes et au grand public. Je n’ai jamais aimé ce préjugé qui consiste à faire de l’opéra un univers complètement fermé, voire réservé uniquement à une élite disposant d’une culture. Au contraire, j’ai voulu démontrer que l’opéra est accessible pour tous. Pour moi, si vous n’allez pas à l’opéra, celui-ci doit venir à vous. C’est la raison pour laquelle j’ai créé un atelier à partir d’un opéra, de Mozart : Così fan tutte, que j’ai mis en scène avec un piano et des intermittents du spectacle. Ma passion pour la culture, la littérature, la poésie, la nouvelle et le roman m’a poussé à transmettre également cela aux jeunes. C’est une manière de trouver des voies de passage afin que le jeunes se rendent compte que la culture n’est pas une chose extérieure à eux mais une chose qu’ils peuvent produire eux-mêmes et la partager. Transmettre, partager, faire en sorte que les jeunes puissent intégrer la culture et le lyrisme et susciter un désir d’y aller font partie des objectifs de notre association.
Prenons l’exemple de l’atelier découverte de l’art lyrique que vous animez dans les lycées, à travers un opéra de Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, comment se déroule-t-il concrètement ?
L’atelier est animé dans les lycées en partenariat avec un professeur de français. En effet, l’atelier intègre le programme de l’éducation nationale en littérature (le chapitre sur le théâtre). Nous faisons des réunions de préparation, et en général, l’atelier dure 10 à 15h étalées sur plusieurs semaines. J’établis des liens entre le programme scolaire et l’opéra Così fan tutte. Autrement dit, comment passe-t-on de la dramaturgie au théâtre et ses problématiques à une autre forme de dramaturgie issue de l’opéra ? C’est par ce biais que je commence par établir des points communs puis des points de différence. Dans le cadre des points de différence, on découvre ce qu’est la voix lyrique, la voix sans micro, le rôle du souffle qui est la vie, la parole qui reflète notre vécu. A l’aide de supports pédagogiques écrits et audios, nous faisons des exercices de voix et de sons afin de leur montrer l’importance du souffle. Ensuite, nous découvrons tout ce qui est spectacle vivant, car l’opéra est un théâtre total (les arts visuels avec la mise en scène, la richesse des sensations auditives, la musique de la voix humaine, la présence de l’orchestre, les décors, les objets, les interactions avec le public). En fin de séance, on regarde des extraits d’opéra voire, si la logistique et le temps le permettent, découvrir l’opéra directement dans un théâtre (en général dans la ville où se situe le lycée). J’implique les jeunes de différentes manières : par les exercices du souffle, de la voix, le dialogue, leurs réactions, une réflexion sur la mise en scène de certains extraits, et sur les thèmes de cet opéra. Tous ces thèmes, tels que l’amour, la fidélité, l’engagement, ont une encore une actualité et les jeunes en prennent conscience.
Quel regard portez-vous sur le monde du théâtre et de l’opéra en France ?
L’opéra aujourd’hui est connu grâce à des salles aussi prestigieuses, tant pour leur programmation que leur architecture, que l’Opéra Bastille et l’Opéra Garnier. Leur programmation est célèbre à l’étranger, leur fréquentation est internationale, ils arrivent à bien équilibrer entre des productions assez récentes et la tradition des grands compositeurs des siècles passés. Il faut noter un effort de décentralisation des opéras tels que celui de Limoges ou de Lyon. Ils font des choses extraordinaires en passant des partenariats des collèges et des lycées. Ils font tout pour faire sortir l’opéra hors des murs. L’Opéra Comique et l’Opéra Garnier font un travail similaire, très enrichissant, auprès des jeunes du secondaire, notamment ceux des lycées professionnels, qu’ils arrivent à intégrer aux réalisations des professionnels grâce à des ateliers (décors, costumes et maquillage). Je crois qu’un effort est réellement fait pour créer des passerelles entre l’opéra et les jeunes dans l’intention de renouveler le public. Mais ce qu’il y a de vital et de vivant, c’est l’énergie que l’on trouve chez beaucoup d’artistes qui consiste à vouloir créer et transmettre. C’est difficile mais ils se battent ! Ce que je dis sur l’opéra est valable pour le théâtre également. L’essentiel est de transmettre pour que les choses demeurent, en dehors de vous, peut-être mieux que vous. On plante sa graine, les choses poussent, fleurissent...c’est la vie, elle se perpétue tout comme l’art !

TRT Francais