Violences sexuelles au sein de l'Église: le cas épineux des missionnaires à l'étranger (Others)

Amériques, Afrique, Asie... rares sont les données sur les cas de prêtres ou religieux missionnaires français ayant commis des agressions sexuelles à l'étranger. Lundi, une délégation a "imploré" le gouvernement français d'extrader, à la demande du Canada, le prêtre Joannes Rivoire, accusé d'agressions sexuelles dans les années 1960 sur des enfants inuits dans le Grand Nord canadien.

Jusqu'ici, cet ancien missionnaire français de la congrégation catholique des Oblats de Marie-Immaculée (OMI), qui vit dans une maison de retraite de Lyon (sud-est de la France), n'a jamais été inquiété. Il conteste toutes les accusations concernant des sévices commis pendant sa mission au Canada, où il est resté un peu plus de trois décennies.

Cette affaire témoigne d'un phénomène encore peu documenté.

Le rapport de la commission ayant enquêté sur la pédocriminalité dans l'Eglise de France ces 70 dernières années, et dont les conclusions choc ont été publiées en octobre, "ne consacre pas de développement à la question des abus commis hors de France", a expliqué à l'AFP Jean-Marc Sauvé, qui fut le président de cette commission, la Ciase.

Pour autant, "nous avons reçu une bonne quarantaine de témoignages d'abus commis par des prêtres français résidant à l'étranger", a-t-il précisé, en citant "l'Europe (Allemagne, Belgique, Suisse, Italie, Royaume Uni), mais aussi de manière significative l'Afrique (Afrique du Nord et Afrique noire et pas seulement pendant la période de la colonisation)" et enfin l'Asie, notamment la "Thaïlande et le Myanmar".

"Nous avons aussi trouvé la trace de prêtres ou religieux qui ont commis successivement des abus en France, puis à l'étranger, puis en France", a-t-il ajouté.

Le sociologue des religions Philippe Portier, qui a enquêté pour la Ciase sur les archives de 17 congrégations, a constaté, jusque dans les années 1970, des cas "d'exfiltration" de prêtres agresseurs "vers les colonies" ou "les pays du Sud", même si ces cas étaient "rares".

"Pas à la hauteur"

Pour le père Camille Rio, prêtre des Missions étrangères de Paris, en poste en Thaïlande depuis 2013, "il n'y a aucune raison pour que les abus commis à l'étranger soient moindres que ceux commis en métropole. Au contraire, puisque toutes les conditions s'y prêtent: cléricalisme, absence de contrôles, isolement, abus de pouvoir, facilités financières, silence assuré des victimes", souvent en situation de vulnérabilité et craignant de témoigner.

Cet ecclésiastique a eu connaissance de plusieurs témoignages de victimes, mineures ou majeures, en Asie.

Selon lui, "les abus à l'étranger existent de manière massive et ont encore lieu maintenant, et leur instruction par les autorités religieuses, tant locales que romaines, n'est pas à la hauteur de la gravité des faits ni de l'ampleur du phénomène".

Historiquement, la France est l'un des pays ayant le plus envoyé de missionnaires. Ils étaient au moins "7.400 religieux, prêtres ou frères" et "8.500 religieuses" en 1901, selon l'ouvrage collectif Histoire du christianisme en France.

Selon Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (qui représente 450 congrégations), "il existe des enquêtes canoniques (ordonnées par les services du Vatican, ndlr)". Elles se heurtent toutefois à des difficultés: compétences juridiques, manque de moyens humains, barrières culturelles, relève-t-elle.

Sur le plan judiciaire, certains prêtres français ont pu être inquiétés ces dernières années pour des agressions sexuelles commises alors qu'ils officiaient à l'étranger.

Parmi eux, Frère Albert, appartenant à la Congrégation des frères du Sacré-Cœur, avait été accusé de viols et agressions sexuelles commis en Guinée Conakry sur des mineurs de moins de 15 ans. Le religieux, directeur d'école à Conakry, avait lui-même confessé ses agissements alors qu'il était filmé en caméra cachée pour une émission de télévision française.

De son côté, Eric Dejaeger, un ancien prêtre - belge cette fois - des OMI, la même congrégation que celle du père Rivoire, a été condamné en 2015 au Canada pour agressions sexuelles sur des enfants autochtones par un tribunal du territoire canadien du Nunavut.

AFP