Pascal André, médecin français de retour de Gaza (Photo Anne Llcinkas) (Others)

“ J'ai vu des enfants morts, j'ai vu des blessures terribles”. La parole grave détonne un peu dans la salle aux boiseries chaleureuses d’une brasserie du très chic 16ème arrondissement de Paris, cette fin mars 2024. Elle émane de Pascal André, médecin urgentiste à l’hôpital de Rodez, de retour d’une mission de 14 jours à l’hôpital Européen de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. ‘‘Je peux vous témoigner tout ce que j'ai vu comme infectiologue et comme urgentiste. Mais en deux mots, je vous dirai que c'est infect et c'est urgent”. Du 8 février au 22 février, le médecin, membre de Palmed France, a partagé le quotidien de ses confrères palestiniens, ” des blocs opératoires et des urgences complètement dépassés, pas de salle de tri, des patients traités à même le sol…”

L’hôpital, fait pour recevoir 300 personnes, en accueille “ au moins 4000 ou 5000 “, affirme ce médecin, qui effectue alors sa première expérience de médecine de guerre. “Tous les couloirs étaient saturés comme un métro aux heures de pointe. Les conditions, le traitement et l'accès aux soins étaient insupportables “. Autour de l’hôpital, ce ne sont pas moins de 25 000 personnes qui ont trouvé refuge, face aux bombardements israéliens qui ont fait plus de 32 000 morts à Gaza depuis le 7 octobre, selon le dernier décompte du ministère de la Santé du Hamas.

“L'autre jour, j'ai soigné une enfant de douze ans qui avait une blessure d'au moins 15 cm sur la boîte crânienne, causée par un éclat d’obus. Il y en avait deux autour d'elle qui gémissaient. Il y en avait un qui venait de mourir. J'avais accueilli trois enfants morts sur la demi-heure qui précédait. J'ai dû chercher pendant une demi-heure un anesthésique, une pince. J'ai passé quasiment trois quarts d'heure, une heure à faire une suture que j'aurais pu faire en un quart d'heure, tellement le matériel était défectueux. J'ai vu en arrivant au bloc opératoire des patients qui étaient endormis mais qui avaient mal car il n'y avait pas assez d’anesthésiques. J'ai vu en réanimation des patients qui ne dormaient pas assez parce qu'ils n'avaient pas assez de produits pour faire dormir tout le monde, donc les posologies n'étaient pas adaptées. J'ai vu des patients dialysés qui n'avaient qu'une heure de dialyse deux fois par semaine au lieu des 3 ou 4 heures nécessaires 3 fois… “

Une terreur constante

Mais ce qui révolte le plus le médecin français, c’est que “l’aide est là, à quelques kilomètres“ à Rafah, la frontière avec l’Egypte. “Elle est entassée dans des camions qui ne passent pas. Les denrées alimentaires pourrissent, les médicaments dont les patients ont besoin sont là, à quelques centaines de mètres ou à quelques kilomètres… Seuls une dizaine de médecins (et infirmières) français de Palmed ont pu traverser jusqu’à présent la frontière à Rafah pour rejoindre l’hôpital Européen, grâce notamment à l’ONG américaine Rahma qui effectue les démarches administratives. " Deux autres Français vont arriver dimanche prochain . L’idée est “ d’enchaîner les rotations pour soutenir les collègues sur place, qui sont nombreux mais qui sont exténués et qui travaillent dans des conditions absolument dramatiques”, explique à TRT Français Pascal André. “Bon nombre d'entre eux sont morts parce qu'à Gaza, on tire sur les soignants, on tire sur les ambulances, on tire sur les hôpitaux. “

Selon le médecin français, les médecins américains et jordaniens qui l’accompagnaient et qui ont “une énorme expérience de la guerre, malheureusement, n'ont jamais vu une telle situation avec autant de blessés civils, autant d'enfants, autant de femmes”, piégés dans une “ nasse “ sans aucun espace sûr pour se protéger des bombes. “ Ces collègues nous disent : ‘Nous n'avons jamais vu un conflit comme ça, où les gens n'ont aucune solution de survie. C'est la première fois’. “

Pascal André a vu “les blessés, les morts qui arrivent par dizaines après les bombardements”. Il décrit une” terreur constante” “ d'une population civile sans armes “, qui vit avec le bruit continu des drones qui survolent les airs. “Nous, on est resté que 14 jours. Il nous a fallu trois semaines pour nous séparer de ces bruits. Eux continuent à vivre avec. Et quand ce n'est pas les drones, bien entendu, ce sont les bombardements, jour et nuit, à l'heure de la prière du matin, à l'heure du chant du coq”. Le médecin français affirme n’avoir pas entendu “le moindre discours de haine “, ni vu” un seul homme armé “ ni “un seul tunnel.”

Impossible de se taire

Par contre, il déclare être revenu “avec beaucoup d'éléments de preuve de ce que nous avons vu et nous pouvons constater à partir de ce que nous avons factuellement observé, des comptes rendus opératoires, les photos des patients que nous avons soignés ou diagnostiqué le décès, nous pouvons vraiment confirmer donc que le cahier des charges imposé par la Cour internationale de justice le 26 janvier n'est pas respecté et que l'intention génocidaire, en tout cas nous l'avons constaté, est bien confirmée “.

Pascal André a recueilli le témoignage d’une soixantaine de personnes en audio et en vidéo. “On les a tous protégés parce que bien entendu, elles prenaient un risque important pour leur vie. Mais elles nous ont toutes dit :’ aujourd’hui, je ne peux pas donner mon nom, sinon je risque de mourir. Je ne peux pas montrer mon visage, mais si je survis, je témoignerai contre tous ceux qui n'ont rien fait “.

Le médecin regrette par ailleurs une forme de censure lorsqu'il s'agit de pointer du doigt une réalité. Il appelle à "oser discuter avec des personnes qui ne pensent pas comme nous, qui ont un autre narratif que celui qui est distillé depuis des mois et des mois par une puissance coloniale qui contrôle aussi les médias."

Depuis son retour en France il y a quatre semaines, le médecin ne cesse de témoigner, à Marseille, Paris, ou Bruxelles et ailleurs, malgré le devoir de réserve auquel l’ONG qui lui a permis de se rendre à Gaza aurait voulu qu’il s’astreigne. Pascal André estime en effet qu’il ne peut pas se taire quand les soignants à Gaza lui demandent de faire entendre leurs voix en lui disant : “ Rentrez chez vous pour faire prendre conscience aux citoyens que nous sommes les mêmes qu’eux, que nous ne sommes pas des animaux, que nous sommes des humains, que nous voulons que le droit international soit appliqué ‘.

Vaines promesses

“Nous avons été témoins de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité et nous en avons les preuves en audio, en vidéo, dans les comptes rendus opératoires. Ces preuves sont aujourd'hui dans les mains de la justice. “ insiste, Pascal André. Mais le temps presse, car la situation se détériore encore à Gaza. “ Je suis en contact quotidien avec le personnel soignant. Ce ne sont pas des chiffres, ce sont des vies, des visages qui tous les jours crient au secours, qui sont extrêmement inquiets, qui décrivent une dégradation hallucinante de la situation tous les jours “ explique Pascal André. “ Et face à ça, on a des promesses de rencontres politiques qui n'aboutissent pas. C’est honteux “.

Malgré le vote ce lundi d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exigeant un cessez-le-feu immédiat , les bombardements font toujours rage à Gaza où l’ombre de la famine plane toujours.

TRT Francais