Semi-conducteurs: comment les États-Unis ont court-circuité les ambitions de la Chine (AA)

Dans leur guerre technologique avec la Chine, les États-Unis ont pris de multiples mesures au cours de la dernière décennie pour entraver l'ascension de Pékin dans le secteur technologique.

Washington a déjà empêché Huawei d'accéder au marché de la 5G, imposé des sanctions à une autre entreprise de télécommunications chinoise, ZTE, et contraint la société néerlandaise ASML à retarder la livraison d'équipements de fabrication de puces aux entreprises chinoises.

Mais la politique annoncée par le président Joe Biden le 7 octobre est de loin la plus dure, car elle va au-delà de la restriction des transferts de technologies vers l'armée chinoise, principale source d'inquiétude pour Washington.

"Les dernières mesures américaines de contrôle des exportations visent principalement les personnes américaines qui travaillent pour des entreprises de semi-conducteurs en Chine. À mon avis, cette mesure est un coup dur", souligne Dr Monique Chu, maître de conférences en politique chinoise à l'université de Southampton.

Depuis le début des années 2000, les entreprises chinoises de semi-conducteurs sont largement tributaires des talents étrangers, notamment les expatriés formés en Occident et les ingénieurs du Taïwan voisin.

"Or, nombre de ces Chinois de retour au pays et de ces ingénieurs taïwanais travaillant dans l'industrie chinoise ont soit une carte verte américaine, soit une double nationalité", explique Dr Chu à TRT World.

Dans le cadre du dernier régime de contrôle des exportations, les citoyens américains, les détenteurs de cartes vertes et les résidents devront obtenir une autorisation du gouvernement pour pourvoir travailler avec les entreprises chinoises de semi-conducteurs, à quelque titre que ce soit.

Cela inclut même les services d'assistance, une pratique de routine offerte aux clients par les entreprises après la vente d’un produit quelconque.

Les législateurs américains ont clairement indiqué que ces licences ou permis ne seraient pas accordés, ce qui empêcherait effectivement les citoyens et résidents américains de travailler en Chine.

Un coup fatal

Les entreprises chinoises de semi-conducteurs s'appuient depuis longtemps sur les talents étrangers pour rattraper leurs homologues occidentaux comme Intel et Qualcomm.

La Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC), basée à Shanghai, le plus grand fabricant de puces à façon de Chine, a été créée par Richard Chang, un Américain d'origine taïwanaise.

Dans les premières années, environ un tiers des ingénieurs de la SMIC étaient des étrangers, dont de nombreux Américains, écrit Dr Chu dans son livre The East Asian Computer Chip War.

Avant les dernières restrictions, les autorités américaines s'efforçaient principalement d'empêcher les concepteurs et les fabricants de puces de vendre leurs produits à l'armée chinoise.

Désormais, une interdiction générale a été imposée sur la vente d'équipements et d'outils sans lesquels il est pratiquement impossible de fabriquer des puces avancées, notamment celles nécessaires aux applications d'intelligence artificielle (IA).

Washington mise sur son influence sur la chaîne d'approvisionnement mondiale en semi-conducteurs pour empêcher la Chine d'acquérir la capacité de fabriquer des puces à des nœuds de 14 nanomètres (nm) ou plus.

Un nanomètre est la taille d'un transistor, le composant de base des puces. Plus la taille est petite, plus il est possible d'empiler de transistors sur une puce, ce qui la rend plus efficace et plus rentable.

Les leaders du marché des circuits intégrés, comme la société taïwanaise TSMC, sont déjà en mesure de produire des puces de 5 nm à l'échelle commerciale. En revanche, avec les nouvelles règles, la société chinoise SMIC aura du mal à produire des puces de 14 nm.

"Les dernières restrictions sont beaucoup plus exhaustives et empêchent les sociétés américaines d'équipement, même celles qui sont à l'étranger, de vendre ou d'entretenir des équipements dans les usines de fabrication de puces chinoises", explique Douglas Fuller, professeur à la Copenhagen Business School et auteur de Paper Tigers, Hidden Dragons : Firms and the Political Economy of China's Technological Development.

"Les États-Unis empêchent les fournisseurs d'outils EDA de vendre leurs produits aux entreprises chinoises qui conçoivent des puces avancées, telles que les puces d'intelligence artificielle. Sans les logiciels EDA, il sera très difficile de concevoir ces puces."

Par EDA ou Electronic Design Automation il faut entendre les modèles sophistiqués du processus de fabrication des puces, y compris l’agencement complexe des circuits intégrés. Aucune puce ne peut être fabriquée sans un EDA et seule une poignée d'entreprises, comme Synopsys, sont spécialisées dans ce domaine. Elles sont presque toutes basées aux États-Unis.

De même, les machines de photolithographie avancées, essentielles à la fabrication des puces modernes, utilisent des composants et des technologies développés aux États-Unis. C'est l'une des raisons pour lesquelles Washington a empêché la société néerlandaise ASML de vendre ses équipements de lithographie extrême ultraviolet (EUVL) à des entreprises chinoises.

La nécessité d'agir en urgence découle de la crainte que l'Amérique et ses alliés ne prennent du retard dans la course aux puces avancées, qui contrôleront tout, des voitures autonomes aux superordinateurs, en passant par les centres de données et les fusées spatiales.

En août, M. Biden a signé la loi CHIPS and Science Act, promettant des milliards de dollars de subventions pour convaincre des entreprises comme Samsung et TSMC d'ouvrir des sites de production aux États-Unis.

Alors que les États-Unis contrôlent les processus de base - les outils EDA, les machines et les produits chimiques - nécessaires aux différentes étapes de la fabrication des semi-conducteurs, la production proprement dite a été délocalisée en Asie.

A titre d’exemple, NVIDIA, un géant des semi-conducteurs, est totalement dépendante des usines de TSMC pour la production de ses puissants GPU (processeurs graphiques).

"Au cours des cinq prochaines années au moins, il sera impossible (pour la Chine) d'échapper à ces sanctions sur la fabrication de puces, à moins que les alliés des États-Unis, le Japon et les Pays-Bas, ne défient ses restrictions", affirme M. Douglas.

Toutefois, aussi bien Tokyo qu’Amsterdam ont leurs propres intérêts à protéger et respecteront probablement les restrictions américaines, ajoute-t-il.

TRT Francais