Proche-Orient: Le jeu d’équilibrisme d’Emmanuel Macron sert-il la diplomatie française? (Others)

Les attaques d'Israël contre Gaza depuis le 7 octobre, en violation du droit international, mettent une bonne partie des démocraties à l’épreuve de leurs valeurs et principes. La France, jusqu’aux mandats de Jacques Chirac, était connue pour son approche diplomatique pro-arabe. Une expression schématique et euphémisée pour rappeler son attachement au droit de la guerre et humanitaire. Une ligne à laquelle Emmanuel Macron tente, tant bien que mal, de rester fidèle. Difficile exercice tant l’ami israélien se montre réfractaire à toute critique. La position française, qui ne cesse d’évoluer à mesure que le nombre de morts à Gaza augmente, subit dorénavant les foudres des soutiens de Benjamin Netanyahu. Emmanuel Macron pourrait-il payer l’équilibrisme qui caractérise sa position ?

“La destruction totale du Hamas” demanderait “10 ans” de guerre, telle a été la position d’Emmanuel Macron concernant la guerre à Gaza. Depuis la Cop 28 qui se tenait à Dubaï, les 2 et 3 décembre, le président de la République française, dont beaucoup attendaient des clarifications quant à la position française au Proche-Orient, n’a pas déçu.

Déjà pointé pour le manque de lisibilité dans sa politique étrangère, Emmanuel Macron s’est attiré les foudres d’Israël et de ses alliés. D’abord parce qu’il a émis des doutes à propos des “objectifs” des bombardements indiscriminés menés par l’Etat hébreu à Gaza.

Ensuite parce qu’il a invité les belligérants à repenser leur conception d’une “sécurité durable” impossible à obtenir au “prix de vies palestiniennes”. Un durcissement dans le ton qui révèle, en filigrane, la position délicate de la France. Soutenir la vengeance de Benjamin Netanyahu, chef du gouvernement israélien en réponse aux attaques du 7 octobre dernier, au nom du fameux “droit d’Israël de se défendre” tout en “préservant les populations civiles” palestiniennes et les otages français.

Une ligne de mesure ménageant la chèvre et le chou mais qui pourrait, à terme, brouiller le message de la France, en tout cas sa politique au Proche-Orient. Le chef de l’État a condamné l’attaque du 7 octobre sans aucune ambiguïté- le jour même il s’entretenait au téléphone avec le président Herzog et le Premier ministre Netanyahu- affirmant “se tenir aux côtés des Israéliens, engagé pour sa sécurité et son droit à se défendre”. Dès le 12 octobre, dans une allocution télévisée, il avait réitéré son soutien aux Israéliens mais aussi à “la réponse légitime aux attaques terroristes”. L’allocution avait déçu tant la situation était déjà préoccupante pour les civils palestiniens.

Placé en état de siège complet dès le 9 octobre- sans eau, ni nourriture et électricité- la situation à Gaza s’est rapidement avérée critique. Pire, elle annonce déjà les manquements au droit international de l’Etat hébreu qui soumet, d’ailleurs, Gaza à un blocus depuis 2007 dans le sillage de la victoire du Hamas aux élections. Autorisé en temps de guerre, le blocus reste proscrit envers les populations civiles en vertu de la Quatrième convention de Genève. Texte dont Israël s’affranchit allègrement.

Or, dans son allocution du 12 novembre, une seule phrase d’E.Macron a trait “au devoir des démocraties”, à savoir la protection “des populations civiles”. Rien en matière de droit international.

Le 17 octobre 2023, un tournant accentue la pression sur Israël et la France, par capillarité. Le bombardement de l’hôpital Al-Ahli marque les esprits. Plusieurs centaines de morts et des questionnements quant aux buts de guerre d’Israël. D’abord assumé par Netanyahu, le tir est ensuite imputé à une roquette défaillante du Jihad islamique, autre groupe palestinien.

Depuis, le Forensic Architecture, une agence universitaire britannique spécialisée dans les violations des droits de l’Homme puis le New York Times, ont démenti ces affirmations, ciblant l’armée israélienne. Des méthodes rapidement controversées avec lesquelles E.Macron doit frayer lorsqu’il pense sa tournée au Moyen-Orient dès le 23 octobre. Coalition contre le Hamas calquée sur celle contre Daesh, refus d’une offensive terrestre massive à Gaza, envoi d’un navire militaire, Macron s’est évertué à proposer des pistes en évitant de froisser l’ami israélien.

Depuis, la position de la France s’est faite graduelle. Entre cessez-le-feu humanitaire, rappel des règles du droit international et demandes de précision des objectifs militaires d’Israël. La conférence humanitaire du 9 novembre, où le président a fini par appeler à un cessez-le-feu à Gaza, suivi de l’interview donnée le 11, ont marqué une inflexion dans le ton adressé à Israël. Mais, c’est le discours de la Cop 28 qui, début décembre, a créé des remous jusque dans la société israélienne. Dorénavant très critiquée, la France, par la voix de son représentant permanent Nicolas de Rivière, a voté la résolution pour un cessez-le-feu humanitaire, le 8 décembre. “La France ne voit aucune contradiction entre la lutte contre le terrorisme et la protection des civils dans le strict respect du droit international humanitaire”, souligne son ambassadeur aux Nations unies. Une réponse qui clarifie des positions souvent jugées illisibles, voire jouant sur deux tableaux. Là où se situe le point d’achoppement concernant la politique d’E.Macron, résumée dans la formule sarcastique du “en même temps”.

Pourtant, en Macronie, la copie est loin d’être bariolée de ratures. Au contraire. Si l’on suit les analyses et les déclarations du président, quatre colonnes semblent porter sa politique diplomatique : soutenir la lutte contre le Hamas, mouvement classé terroriste par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne, affirmer le droit d’Israël de se défendre tout en préservant les civils, assister les Palestiniens sur les questions humanitaires et dessiner une perspective politique au conflit.

Pour autant, 60 jours après le début des frappes, Emmanuel Macron a-t-il affirmé une position diplomatique claire de la France au Proche-Orient ? La diplomatie humanitaire peut-elle s’octroyer le droit de l’approche progressive ?

La tentation de justifier la complexité de la position de la France par celle du conflit relève du faux-fuyant. L’approche graduelle et réaliste d’E.Macron ne permet pas d’effacer les frappes aveugles d’Israël sur des enfants, ni ce que beaucoup voient comme des atermoiements. N'a-t-il pas fallu 3 000 enfants tués à Gaza pour que le président appelle, fin octobre, à une trêve humanitaire ? Pire, cette approche à quatre temps révèle, en creux, l’impunité de l’Etat hébreu s’affranchissant du droit international. Un droit international essentiel pour contenir les pulsions vengeresses des uns et des autres.

Si la France sort grandie de son vote à l’ONU vendredi soir- à l’inverse des Etats-Unis qui ont opposé leur véto, il intervient après avoir enregistré 20 000 morts. La diplomatie et l’histoire sont complexes. Mais la seconde n’attend pas. Pas plus qu’elle ne se rattrape. E.Macron le sait, lui, qui a très vite tenté de redonner du crédit à la fonction présidentielle, de se hisser à la hauteur d’un Général de Gaulle. Trop intelligent pour ne pas avoir saisi l’urgence du moment, le président paraît entravé dans ses décisions. Entravé par cette France de l’intérieur qui regarde le Proche-Orient pour les uns, avec les lunettes du droit international, des valeurs françaises, pour les autres avec celles de l’affect. Dans son allocution télévisée du 12 octobre, Emmanuel Macron adressait une demande aux Français.

“N’ajoutons pas, par illusion ou par calcul, des fractures nationales aux fractures internationales”. Une requête aux allures de supplique, symptomatique d’un fait. La France, second théâtre du conflit au Proche-Orient semble rejouer dans ses coulisses son passé. Et même son Histoire.

TRT Francais