"Les Grecs devraient éviter ce pari eu égard aux efforts bilatéraux visant à cerner les tensions persistantes entre les deux pays", dit M. Koc à TRT World. (Reuters)

Alors que la Turquie et la Grèce sont deux alliés de l'OTAN, elles ont eu une série de divergences dont la question chypriote, le statut des îles de la mer Egée ainsi que les réserves de gaz récemment découvertes en Méditerranée orientale.

Les deux pays se sont confrontés, il y a un siècle, dans une guerre sanglante qui s’est soldée par une défaite cuisante pour la Grèce aux mains des forces turques. Depuis lors, les deux États étaient à deux doigts de la confrontation militaire à de nombreuses occasions.

Plus récemment, des tensions bilatérales ont éclaté lorsque que la Grèce eut recours dangereusement à une tactique militaire de verrouillage des avions de chasse turcs dans les eaux internationales à plusieurs reprises. Au cours des huit premiers mois de cette année, la Grèce a violé l'espace aérien et les eaux territoriales de la Turquie 1.123 fois, selon le ministère turc de la Défense.

Mais pourquoi un État de taille beaucoup plus inférieure à la Turquie aurait-il recours à des méthodes imprudentes?

Abdullah Agar, un spécialiste turc des questions de sécurité, estime que la Grèce agit au nom d'un agenda politique occidental pour bloquer la voie politique indépendante d'Ankara dans la région de la Méditerranée orientale et dans d'autres régions de son entourage.

"Je ne pense pas que cette question soit uniquement liée à Athènes. Au siècle dernier, la Grèce a été utilisée par les puissances occidentales pour sanctionner une mort géopolitique", explique-t-il à TRT World, faisant référence à l'effondrement de l'Empire ottoman, que les Grecs ont essayé d'exploiter afin de s’approprier davantage de territoires à travers la Turquie actuelle. Mais sous la direction de Mustafa Kemal Atatürk, la guerre d'indépendance turque (1919-1922) mit fin aux rêves grecs.

"Au XXIe siècle, les Grecs sont utilisés, cette fois-ci, pour prévenir ou retarder une naissance géopolitique", dit Agar, faisant référence à la montée d’une Turquie revigorée dans les zones instables de la Méditerranée orientale au Moyen-Orient sous la direction de Recep Tayyip Erdogan.

Agenda politique occidental

Selon Agar, cette attitude machiste expose de plus en plus l'incapacité de la Grèce à agir de manière responsable envers son voisin. "La Grèce a été utilisée par eux (les puissances occidentales) comme un État par procuration contre la Turquie", dit-il.

Le mois dernier, alors que la Grèce a utilisé le système de défense aérienne russe S-300 en bloquant l'aviation turque, les relations entre Ankara et Athènes ont atteint leur niveau le plus bas.

La Grèce a activé les systèmes S-300 russes alors que des avions turcs accompagnaient des bombardiers américains B-52 près de la Crète, une île grecque de la Méditerranée, selon Ankara.

À la suite de cet incident, la Turquie a adressé ses plaintes à Bruxelles, siège du commandement de l'OTAN. Mais ni l’OTAN, ni sa force motrice, les Etats-Unis, n'ont fait jusque-là aucune déclaration condamnant l'utilisation par la Grèce du système russe de défense aérienne contre un allié, au cours d’une mission de reconnaissance conjointe de l'Alliance.

Alors que les Etats-Unis ont sévèrement critiqué l'achat de S-400 par la Turquie, ils observent un silence assourdissant face aux récents incidents.

"Alors que les S-300 grecs sont exclus de la CAATSA (loi sur les sanctions contre les adversaires de l'Amérique), l'application de ces sanctions aux S400 de la Turquie revient à pratiquer une approche de deux poids deux mesures par les Etats-Unis", dit Ulas Pehlivan, un analyste militaire et ancien officier de l'armée turque.

"Cela représente une discrimination à l’encontre de la Turquie", confie Pehlivan à TRT World. La CAATSA est une loi américaine qui vise des pays comme la Corée du Nord, la Russie et l'Iran.

Au-delà de la question des S-400, la Turquie a eu des désaccords avec l'Occident sur d'autres sujets, y compris l'invasion américaine de l'Irak, au cours de laquelle Ankara a refusé aux troupes américaines l’usage de son espace aérien pour attaquer cet Etat voisin, selon Agar.

L'analyste estime que les tensions se sont poursuivies sur différents fronts, de l’adhésion du Secteur chypriote grec à l’UE de manière injuste, excluant les Chypriotes turcs dans le nord, au soutien occidental dans le nord de la Syrie à l'YPG, une branche du groupe terroriste PKK qui a mené une campagne terroriste de plusieurs décennies contre la Turquie.

Agar croit aussi fermement qu'il existe un lien direct entre l'agression grecque et les efforts de la Turquie pour accéder aux réserves de gaz en Méditerranée orientale, région où Ankara a des désaccords avec l'Occident.

Comment la Turquie peut-elle répondre?

Tous ces facteurs ont provoqué un contrecoup et une méfiance à l'égard de l'Occident à Ankara, poussant la Turquie à développer un partenariat avec la Russie pour régler le conflit syrien, explique Agar. "Dans cette perspective, dit-il, la Grèce, voyant des différences entre Ankara et l'Occident, a accepté d’être utilisée par le bloc occidental contre la Turquie en échange d'obtenir des gains."

"Ils considèrent que parce qu'ils sont sous protection occidentale, la Turquie ne répondra pas aux provocations grecques", poursuit Agar, faisant référence à l’opinion politique prévalant actuellement à Athènes. Mais dans un discours récent, à Samsun, une ville turque de la région de la mer Noire, où la guerre d'indépendance turque contre la Grèce avait commencé en 1919, Erdogan s'est directement prononcé contre l'agression grecque.

"Quand le temps viendra, nous ferons ce qui est nécessaire. Comme nous l'avons dit, nous pourrions arriver soudainement une nuit", a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan, utilisant une citation d'une chanson turque populaire sur la manière dont la réponse turque pourrait être sur les actions provocatrices de la Grèce contre Ankara.

"Regardez l'histoire, si vous allez plus loin, le prix sera lourd", a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan, faisant référence à un certain nombre de défaites militaires que la Grèce et ses prédécesseurs ont essuyées aux mains des forces turques au cours du dernier millénaire.

Le discours d'Erdogan a été prononcé lors d'un festival technologique, Technofest, exhibant les drones turcs Bayraktar, un appareil qui a fait ses preuves dans différents champs de bataille de l'Azerbaïdjan à la Libye.

Dans le Technofest, la Turquie a dévoilé son premier avion sans pilote, Kizilelma (la pomme rouge), un nom qui s'inspire d'une métaphore de la mythologie turque sur la poursuite d’un objectif qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche.

"Etant donné que la Grèce est en train de former une coalition de volontaires dans la région contre la Turquie afin d'étendre ses intérêts sans prendre en compte les préoccupations de sécurité nationale de la Turquie, c'est un pari à hauts risques", souligne Mehmet Emin Koc, un colonel des forces spéciales turques à la retraite et analyste de questions sécuritaires.

"Les Grecs devraient éviter ce pari eu égard aux efforts bilatéraux visant à cerner les tensions persistantes entre les deux pays", dit M. Koc à TRT World.

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