Paris : Des artistes dans la rue pour la Palestine (Photo, Anne Llcinkas) (Others)

Il y a eu bien sûr la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, qui, lors de la 49è cérémonie des César vendredi 23 février dernier, lançait un vibrant « On va pas se taire et on va pas se faire intimider … Il faut que le massacre cesse (à Gaza) », en recevant son César du meilleur documentaire pour "Les filles d’Olfa", avant d’ajouter : "Je crois qu’on devrait utiliser un peu notre notoriété pour défendre la justice".

Quelques minutes plus tard, sur la même scène de L’Olympia, l’acteur franco-belge Arieh Worthalter, César du meilleur acteur, prenait la parole : "Je me joins moi aussi à un appel pour un cessez-le-feu à Gaza parce que la vie le demande, celle des Gazaouis et des otages, parce que nous sommes unis en tant qu'espèce ".

Le lendemain, outre-rhin, lors de la Cérémonie de la Berlinale, plusieurs cinéastes exprimaient leur soutien aux Palestiniens.

Ainsi, la Franco-Sénégalaise Mati Diop exprimait sa "solidarité avec la Palestine" en recevant son ours d’or pour Dahomey, tandis que l’américain Ben Russell, primé pour le film Direct Action, montait sur scène en portant un keffieh palestinien et en accusant Israël de génocide. Mais c’est surtout le discours de l’Israélien Yuval Abraham et du Palestinien Basel Adra, venus recevoir le prix du meilleur documentaire, qui a fait parler. "Nous avons le même âge, je suis israélien et il est palestinien, et, dans deux jours, nous allons retourner sur une terre où nous ne sommes pas égaux, a dénoncé Yuval Abraham. Je vis sous la loi civile et Basel vit sous la loi militaire. Nous ne sommes qu’à trente minutes l’un de l’autre mais j’ai le droit de vote, que Basel n’a pas. Je suis libre de voyager sur cette terre. Basel est, comme des millions de Palestiniens, bloqué à Gaza. Cette situation d’apartheid entre nous est de l’inégalité. Il faut que ça cesse."

Leurs prises de position ont été applaudies par l’assistance dans la salle, mais ont suscité la réprobation de politiques allemands qui les ont accusés d’antisémitisme. «L'antisémitisme n'a pas de place à Berlin, et cela vaut aussi pour les artistes, a notamment fustigé le maire de la capitale allemande, Kai Wegner, sur son compte X. Ce qui s'est déroulé hier à la Berlinale a constitué une relativisation insupportable», a-t-il ajouté, en demandant des comptes à la direction du festival.

Et puis, il y a ceux qui bravent la pluie d’un samedi glacial de début mars pour afficher leur soutien à la Palestine et à ses artistes dans les rues de Paris, comme Mohamed Guellati, qui estime que "c’est impossible d'aborder les choses sans se faire traiter d'antisémite sous prétexte qu'on dénonce une situation d'occupation, d'apartheid, de colonisation." Le comédien et metteur en scène a répondu à l’appel à manifester de l’association les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jenine). Celle-ci se donne pour mission de faire connaître et soutenir l’expérience du Théâtre de la Liberté.

"L’objectif de notre manifestation aujourd’hui est de défendre la culture palestinienne. Cette culture et ces porteurs sont de toute évidence ciblés fortement et de façon sélective par l'armée d'occupation et d'agression" explique à TRT français, Sophie Mayoux, membre du bureau d’ATL Jenine, place de la Bastille. La traductrice à la retraite tient d’ailleurs entre ses mains une pancarte avec les visages de Bilal al-Saadi et Mustapha Sheta, respectivement président et directeur du Freedom Theatre de Jenine.

"Je pourrais vous citer plein d’exemples. Bilal et Mustapha sont incarcérés actuellement par Israël sous le régime de la détention administrative, c'est-à-dire sans inculpation ni jugement et dans des conditions renouvelables tous les six mois. Donc sine die. L’un des deux est emprisonné depuis septembre 2022, ça n'a rien à voir avec les événements du 7 octobre. L'autre, par contre, qui est le directeur exécutif du théâtre, a été incarcéré, lui, à la suite du 7 octobre".

Guellati a découvert le Théâtre de la Liberté en 2007, lorsqu’il est parti y créer un spectacle. "J'ai découvert le contexte politique, social et culturel et ça m'a énormément touché, remué."

Paris : Des artistes dans la rue pour la Palestine (Photo, Anne Llincas) (Others)

De retour en France, il adapte son spectacle, "Nakba, en marchant j'ai vu" en invitant notamment des artistes palestiniens. "Je pense que j'ai jamais eu autant d'ennuis avec un spectacle. Voilà, il faut le savoir, la difficulté de parler de la Palestine et de ce qui s'y passe, ça ne date pas d'aujourd'hui. C'est une énorme injustice." L’homme de théâtre aborde les sujets qu’il a envie d’aborder, "la Palestine, l'héritage des mémoires coloniales, l'immigration" mais évoque "une espèce d'omerta ou de difficulté" quand il est question de la Palestine. "Ce n’est jamais frontal, c’est toujours un peu insidieux, c'est un dossier qu'on met de côté, c'est une espèce de blacklistage invisible. Ça ne se voit pas d'emblée, on sent une méfiance. Et là dernièrement, on sent des silences énormes"

Mohamed Guellati dénonce encore "une forme de lâcheté" et se dit "choqué" par la marche blanche pour la paix au Proche-Orient organisée le dimanche 19 novembre à Paris par le collectif "une autre voix" et portée par plus de 500 artistes, un rassemblement sans slogan, ni drapeau et apolitique.

"Comment c'est possible de ne pas prendre parti? Comment c'est possible de ne pas voir qu'il y a un génocide en cours? Comment c'est possible de ne pas se positionner?" se demande t-il. Il explique cette absence de soutien à la Palestine chez les artistes par "la peur" et "une islamophobie grandissante en France".

Sophie Mayoux, membre du bureau d’ATL Jenine comprend "les artistes qui ne s’expriment pas sur la Palestine". "S’engager quand on risque à tout bout de champ d'être accusé d'antisémitisme et de devoir perdre son temps et son énergie à répondre à des accusations aussi stupides que malveillantes, je comprends que ça en décourage certains qui vouent plus leur vie à la pratique de leur art qu'à un engagement". Mais elle espère cependant conscientiser les artistes afin qu’ils s’engagent davantage.

Pour cela, l’association a publié une tribune, intitulée "Empêchons l’assassinat de la culture palestinienne" qui a recueilli plus de 200 signatures d’acteurs, cinéastes, écrivains, poètes, intellectuels. "Nous voulons sensibiliser tous les acteurs du monde du théâtre, mais aussi tous ceux et celles qui se sentent concernés par l'impératif culturel de soutenir la force vitale du peuple palestinien dans ces circonstances terribles".

TRT Francais