Denis Estangguet, président du Comité d'organisation des Jeux olympiques d'été Paris 2024 devant l'hôtel de Ville de Paris/ Photo: AFP (AFP)

Plus on approche de la date de la cérémonie d’ouverture des JO 2024, plus les sondages montrent que les Français ont des doutes. En novembre dernier, le journal le Monde publiait l’enquête de la société d’Odoxa qui révèle que 44% des Franciliens jugent que l’accueil des Jeux est une mauvaise chose.

Il faut admettre que les couacs se multiplient. Une clé USB avec les données de sécurité des JO a été volée à la gare du Nord, l’évacuation des étals des bouquinistes du bord de Seine a déclenché une bronca, le prix du ticket de métro va passer de 2,1 euros à 4 euros et l’attaque au mortier d’artifice sur le commissariat de la Courneuve (Seine-Saint-Denis) survenue dimanche 17 mars laisse planer un doute sur la sécurité.

Aujourd’hui, la menace de grèves assombrit le ciel de la fête olympique. Deux syndicats de la RATP ont quitté les négociations salariales. Pour rappel, la RATP c’est le métro, le tramway et le RER, plus le Transilien. Un syndicaliste CGT a ainsi résumé la situation sur le plateau de BFMTV : “pas de primes, pas de métro”. Un second appel à la grève a été lancé pour le 4 avril prochain. Selon la CGT, le compte n’y est pas. Et pour cause ! Le personnel de la RATP est invité à fournir des efforts supplémentaires pendant les semaines olympiques mais l‘entreprise promet une hausse de salaire de 100 euros à partir de janvier 2025 !

Préavis de grève en série

Le ministre des Transports s’est dit confiant à l’occasion de plusieurs interviews. Selon lui, “il n’y aura pas de grève pendant les JO.” La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, semble d’un autre avis. Elle a menacé de déposer des préavis de grève début avril dans les trois branches de la fonction publique (d’Etat, territoriale et hospitalière). La confédération a envoyé une lettre au gouvernement le 4 mars dernier. Pour l’instant, l'exécutif n’a pas réagi.

Boris Plazzi, élu de la CGT chargé des relations internationales, décrit dans une interview à TRT français, une fonction publique inquiète : “Dans les secteurs qui seront sollicités, il y existe déjà un manque chronique de personnel comme dans les hôpitaux. Nous soutenons qu'il faudrait embaucher mais ce n’est pas ce que l’on observe pour l’instant. Par exemple à la RATP, ils forment des étudiants pour conduire les tramways cet été !” Les syndicats espèrent obtenir des hausses de salaires et le paiement des heures supplémentaires. La CGT dit vouloir mettre en garde le gouvernement : “les gens sont énervés. On leur impose des contraintes sans contreparties. De notre côté, nous tirons uniquement la sonnette d’alarme en disant “attention vous énervez tout le monde.“ conclut Boris Plazzi.

Fin janvier, après leur mobilisation, les policiers ont obtenu des primes allant jusqu’à 1900 euros, le paiement des heures supplémentaires et des gardes d’enfants. Les syndicats aimeraient obtenir les mêmes engagements pour d’autres fonctionnaires. Reste que le gouvernement cherche 10 milliards d’euros d’économies. L’heure n’est donc pas à la générosité.

Belkhir Belhaddad, député de la 1ère circonscription de Moselle et co-président du groupe de travail à l’Assemblée nationale chargé du suivi des JO, se veut rassurant : “Je fais confiance aux organisateurs, c’est normal que les syndicats demandent le paiement des heures supplémentaires”, a-t-il déclaré à TRT français. Selon lui, il est erroné de dire qu’il n’y a pas d’embauches, la RATP emploie plus de 3000 personnes (pas toutes en contrats indéterminés, et parfois cela remplace des départs à la retraite), les capacités des rames ont été augmentées de 20%, du matériel a été acheté.

“Les JO, c’est un accélérateur de particules, on connaissait le besoin de recrutement, de travaux, de matériel. On fait en 3 ans ce qu’on aurait peut être mis 10 ans à réaliser en temps normal. Il va falloir réussir ces JO donc les organisateurs vont trouver des solutions.”

Belkhir Belhaddad dit ne s'inquiéter que d’une chose, la sécurité. Après l’attentat de Moscou, c’est le seul nuage dans son ciel olympique. Le président du comité d'organisation des JO de Paris, Tony Estanguet est un peu moins optimiste. Il a demandé une trêve sociale pendant les JO, fin février.

Un nettoyage social à Paris

Les JO, ce sont des milliards de téléspectateurs, alors on soigne le décor. Une grève des transports ce serait mauvais pour l’image ; les SDF, eux, vont devoir être hors-champ. Depuis des mois, les squats sont vidés en Île-de-France. Un collectif de 80 associations françaises qui travaillent avec les personnes à la rue a tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme. Ce collectif qui s’est donné le nom “le Revers de la Médaille” a interpellé les organisateurs des JO (le Cojo, Comités d'organisation des Jeux Olympiques) et les préfectures sur le “nettoyage social en cours”.

Selon ce collectif, au printemps 2023, 4000 personnes sont évacuées des squats en Seine-Saint-Denis, département qui va accueillir les épreuves de natation et le village olympique. Le coordinateur du collectif dénonce, dans des propos recueillis par TRT français, le manque de solution alternative : “par exemple, lorsqu’on expulse 80 personnes du squat Unibéton à Saint-Denis, on les retrouve dans un squat à Vitry sur Seine. Il n’y a eu aucune proposition de relogement. On déplace juste le problème.” Autre exemple, début mars 500 SDF ont été évacués des bords de Seine où aura lieu la cérémonie d’ouverture des JO, mais sans alternative proposée, certains sans-abris ont planté de nouveau leurs tentes sur ces mêmes bords de Seine, ironise Antoine de Clerck du collectif “Le revers de la médaille”.

Manifestation du collectif le Revers de la médaille devant le Conseil d'état à Paris en décembre 2023 (source: Facebook du Collectif LRDLM) (Collectif le revers de la médaille)

La Préfecture de Paris prévoit d’ouvrir 200 nouvelles places d’hébergement d’urgence pour les sans-abri proches des sites olympiques. “Le problème”, continue Antoine de Clerck, “c’est que ces jeux ont lieu en plein milieu d’une crise sociale. La situation sociale s’aggrave et on a de plus en plus de personnes à la rue. A Paris, on estime qu’ils sont 7000.”

Solution imaginée par l’Etat : envoyer par bus des sans-abri ou migrants vers d’autres régions. La méthode a agacé le maire d’Orléans, il s’est emporté parce que 500 SDF d’Ile-de-France ont été amenés en bus dans sa ville en catimini dit-il. La préfecture a confirmé le chiffre en niant tout lien avec les JO de Paris.

Antoine de Clerck insiste sur l’absence totale de solutions d'hébergement : “C’est toujours le même problème. Comme ils ne sont pas tous relogés, 60% sont remis à la rue et certains reviennent à Paris.” Les membres du collectif veulent continuer à alerter. “Pour l'instant, le Cojo nous dit que ce n’est pas dans leurs compétences de régler ce problème, et les préfectures tendent à minimiser le sujet, mais quelle image reflète-t-il pour ces JO de Paris ?”

Paris 2024: Affiches du Collectif le revers de la médaille (Source: Facebook Collectif le revers de la médaille) (Le collectif le revers de la médaille)

Les Jeux sont même un facteur aggravant selon lui. Il existe 120 000 places d’hébergement d’urgence en Île-de-France. La moitié sont des places dans des hôtels privés qui logent des familles sur le long terme. ”Ce qu’on observe, ce sont des hôtels qui font des rénovations à quelques mois des jeux et demandent aux personnes logées dans ce dispositif d’urgence de partir. Ainsi, on a 5 familles de retour dans la rue dans le 18e arrondissement depuis le 20 mars. L’hôtel fait des travaux avant les JO.”

Le groupe de travail de l’Assemblée nationale n’a pas abordé ce sujet dans ses auditions, admet Belkhir Belhaddad. “Je pense personnellement que le nombre de places d’hébergement prévues en plus n'est pas suffisant ”. Mais porté par son enthousiasme pour le rendez-vous du sport mondial, il conclut : “Je regrette l’image négative des Jeux de Paris, mais c’est normal avant de grands événements. À Tokyo en 2020, 80% des habitants de la mégapole étaient contre l’événement.”


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