Macron en Algérie, une visite pour quoi faire ? (Others)

Imposé par la difficile conjoncture internationale, le voyage algérien d’Emmanuel Macron a été hérissé de difficultés. Une flambée polémique suscitée par la présence de M. Haïm Korsia, grand rabbin de France, et l’absence d’engouement des Algériens manifestement blessés par les propos du président français. En tout état de cause, le déplacement de Macron n’aura été marqué par aucune avancée spectaculaire susceptible de ranimer des rapports franco-algériens anémiés.

L’équivoque aura plané jusqu’au bout sur le déplacement du président français en Algérie. D’abord sa visite n’était pas prévue, et encore moins programmée. C’est l’un des effets collatéraux du conflit qui mobilise l’attention de l'opinion internationale depuis plusieurs mois. L’invasion de l’Ukraine par les armées russes a rebattu les cartes et forcé les chancelleries à des contorsions dont la diplomatie a le secret. Les propos de Macron, goupillés comme une grenade, ont semé la fureur en Algérie. Macron ne s’est pas contenté de vitupérer une "rente mémorielle" sur laquelle s’appuierait un pouvoir algérien acharné, disait-il, à nourrir la haine de la France. Il a mis en cause l’existence de la nation algérienne antérieurement à la colonisation française.

A la décharge de Macron, il faut reconnaître qu’il a commencé par être discourtois avec ses propres compatriotes. Coutumier des formules à l’emporte-pièce, tels que le "Gaulois réfractaire au changement", "les gens qui ne sont rien" et d’autres, à la tonalité plus vulgaire, à l’adresse des non vaccinés, Macron n’a pas mesuré l’impact de ses propos sur la population algérienne, lorsqu’il a affirmé que la « nation algérienne » était le produit de la colonisation. Supposer que la France aurait créé leur nation est, au mieux, une provocation, au pire un blasphème aux yeux des Algériens. La réaction d’Alger n’a guère tardé. On y a dénoncé des propos "irresponsables" et le rappel de l’ambassadeur algérien est, séance tenante, annoncé. Dans un entretien accordé au magazine Der Spiegel, A. Tebboune a déclaré avoir rappelé son ambassadeur, parce qu’on "ne touche pas à l’histoire d’un peuple et on n’offense pas les Algériens". Il y reproche à Macron d’avoir proféré ces phrases pour des "raisons électorales". Ce faisant, affirme M. Tebboune, le président français "s’est rangé du côté de ceux qui justifient la colonisation". Le président algérien précisait : "Je ne serai pas celui qui ferai le premier pas" concluait-il.

On peut se demander à quoi a servi cette polémique ouverte par les propos du président Macron ? Les rapports avec l’Algérie, comme le rappelait, M. Driencourt, l’ex-ambassadeur de France à Alger, dans un entretien paru dans Reporters, sont aussi une question de politique intérieure française, "parce qu’il y a entre 7 à 10% de la population française qui a des liens avec l’Algérie". Dans ces 10%, l’ambassadeur range les "Pieds-Noirs, les Harkis et leurs descendants, les Algériens de France, les binationaux" et même les "1,5 million de Français qui ont été militaires en Algérie, qui ont fait une partie de leurs études ou de leur service militaire en Algérie". Et M. Driencourt de conclure : "presque 10% de la population française, c’est considérable". En réalité, par ses "petites phrases", le président Macron, en fonction de la conjoncture politique et des événements, lance des signaux à certains secteurs de l’opinion française, afin d’en cueillir les bénéfices électoraux et politiques.

En Algérie, la visite de Macron n’a pas soulevé des torrents d’enthousiasme. Les Algériens sont persuadés qu’elle obéit à des motifs intéressés. Si, officiellement, on attire l’attention sur le fait que le président français inaugure son deuxième quinquennat par une visite en Algérie, ce qui semble montrer l’intérêt qu’il y attache, l’opposition algérienne met davantage l’accent sur les vicissitudes des rapports franco-algériens qui passent, sans crier gare, de lunes de miel éphémères à des orages plus ou moins durables.

La composition des membres de la délégation française n’a pas été de tout repos. La présence de M. Haïm Korsia, grand rabbin de France, n’a pas été du goût de la frange islamisante. M. A. Makri, le ténor du Mouvement de la société pour la paix, estime qu’en raison de l’indéfectible soutien qu’apporte M. Korsia à l’État d’Israël, il juge sa visite inopportune. La Fondation de l’Islam de France a été représentée par son président, M. Ghaleb Bencheikh. Sans doute faut-il y voir la "patte" de M. Chevènement. Selon une source bien informée, le président Macron a fait l’éloge de M. Ghaleb Bencheikh et du "formidable" travail qu’il accomplit pour la promotion d’un islam de progrès, ouvert et tolérant devant M. Lamamra, le ministre des Affaires étrangères algérien.

Il ne faudrait pas pour autant que les problèmes géopolitiques liés au conflit ukrainien offusquent le reste. La question mémorielle, pour essentielle qu’elle soit, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Officiellement, Macron n’a pas fait une visite d’Etat, mais une visite "officielle et d’amitié. Mais la composition de la délégation française semble démentir pareille interprétation, d’autant que du côté algérien, on a sorti le tapis rouge et "fait les choses en grand". Au reste, on ne se dissimulait guère dans la délégation française que la priorité de la visite allait aux questions économiques et migratoires. Mais pourrait-il y avoir un partenariat franco-algérien efficient si la confiance n’est pas rétablie et les plaies ouvertes cicatrisées ? La visite de Macron avait-elle pour objectif de ranimer un partenariat commercial devenu languissant ? Visait-elle à empêcher l’Algérie, à glisser davantage vers des pays comme la Chine ou la Russie ? La France se voit en effet coiffer au poteau par la Chine en matière de parts de marché : 16% pour la Chine contre à peine 10% pour les Français.

Mais, au fond, à quoi a servi cette visite ? À suturer les blessures de la mémoire ? À doper une économie française fragile ? À conserver l’Algérie dans l’aire d’influence française ? À resserrer les rangs face au terrorisme au Sahel ? À parier sur la jeunesse ? Le sait-on vraiment ? Trop d’objectifs tuent l’objectif et qui trop embrasse mal étreint.

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