L’UE divisée sur l'interdiction de visas pour les Russes (Reuters)

Le sujet sera au menu des discussions de la réunion des ministres européens des Affaires étrangères qui s'ouvre mardi à Prague, les pays les plus offensifs (Pays baltes, Pologne et Finlande) souhaitant une position commune des Vingt-Sept sur cette mesure, qui serait inédite dans l'histoire de l'UE.

Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ne parviendront probablement pas à l'unanimité sur la question d'une interdiction de visa à tous les ressortissants russes en raison de la guerre en Ukraine, a estimé le porte-parole de la diplomatie européenne Josep Borrell.

Interrogé par la chaîne de télévision autrichienne ORF TV, le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s'est dit personnellement opposé à cette idée, défendue notamment par la Pologne et les pays baltes.

"Je ne crois pas que couper les liens avec la population civile russe sera utile, et je ne crois pas que cette idée obtiendra l'unanimité requise", a-t-il dit.

"Je crois que nous devons revoir la manière dont certains Russes obtiennent un visa. Nous devons être plus sélectifs. Mais je ne suis pas favorable à l'arrêt de délivrance des visas pour tous les Russes."

"Les touristes russes en Russie!"

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé les Occidentaux à fermer leurs frontières aux Russes qui doivent "vivre dans leur propre monde jusqu'à ce qu'ils changent de philosophie".

"Les Russes soutiennent massivement la guerre, applaudissent les frappes de missiles sur les villes ukrainiennes et les meurtres d'Ukrainiens. Laissons donc les touristes russes profiter de la Russie", a renchéri son chef de la diplomatie, Dmytro Kouleba.

La Finlande sans attendre

Frontalière de la Russie, la Finlande, qui traite quelque 1.000 demandes de visas par jour, a décidé de réduire à 10% de ce volume le nombre de visas délivrés aux touristes russes dès le 1er septembre.

Depuis la fermeture de l'espace aérien européen en réaction à l’offensive, les Russes sont de plus en plus nombreux à se rendre dans ce pays frontalier pour transiter vers d'autres États européens munis de visas Schengen de court séjour (90 jours par période de 180 jours).

Pour la Première ministre finlandaise, Sanna Marin, "il n'est pas juste que les citoyens russes puissent entrer en Europe, dans l'espace Schengen, faire du tourisme (...) pendant que la Russie tue des gens en Ukraine".

Visas Schengen en question

Les 26 pays de l'espace Schengen (22 États de l'UE, plus Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein) ont reçu en 2021 trois millions de demandes de visas de court séjour toutes catégories confondues (tourisme, études, voyages d'affaires...), les Russes étant les plus nombreux (536.000).

L'Estonie déplore ne pas pouvoir interdire l'entrée à son territoire "aux personnes munies d'un visa d'un autre pays de l'espace Schengen", estimant que "visiter l'Europe est un privilège, pas un droit humain".

"Il ne peut être question de tourisme comme à l'ordinaire pour les citoyens russes", a appuyé le ministre des Affaires étrangères tchèque Jan Lipavsky, dont le pays occupe la présidence tournante de l'UE.

A l'instar de Prague, les Pays baltes et la Pologne ont durci après le début de l'offensive leur régime de visas pour les Russes à des degrés divers (arrêt total ou pour les seuls touristes), avec des exceptions (études, raisons familiales, humanitaires, médias d'opposition...).

En l'absence d'unanimité entre les Vingt-Sept, requise pour des sanctions, la Lituanie a évoqué "une solution régionale" qui associerait Baltes, Pologne et Finlande.

Contre-productif?

"L'UE se contredirait. Cette mesure est contraire à la liberté de mouvement et à la politique de sanctions qu'elle a suivie jusqu'à présent en affirmant qu'elle n'est pas contre le peuple russe mais contre le régime", souligne Cyrille Bret de l'Institut Jacques Delors.

"Moins de 30% des Russes détiennent un passeport et leurs premières destinations de voyage sont la Turquie, l'Égypte et les Émirats arabes unis", rappelle pour sa part l'experte de l'ECFR (Conseil européen pour les relations internationales), Marie Dumoulin, pointant "une dangereuse erreur d'analyse".

Selon elle, "une interdiction aura exactement l'effet inverse de celui recherché: en stigmatisant l'ensemble des Russes, on alimente la propagande du Kremlin qui depuis des années, et en particulier depuis l'offensive en Ukraine, dénonce la russophobie supposée des Occidentaux".

"L'UE doit conserver des relais avec la société civile et ne pas l'isoler dans un bocal entièrement contrôlé par le régime", ajoute-t-elle.

Sanctions en vigueur

Depuis le déclenchement du conflit, l'UE a suspendu partiellement les facilités de délivrance de visas de court séjour dans le cadre d'un accord UE-Russie, en interdisant l'accès à certaines catégories liées au régime (délégations officielles, détenteurs de passeport diplomatique, chefs d'entreprise...).

L'UE a en outre déclaré persona non grata 1.214 responsables.

Agences