La France vit toute une série de tensions (Others)

Le mouvement de grève, malgré une mobilisation sociale importante mardi 18 octobre, donne des signes d’essoufflement avec un espoir d’accord préservant les intérêts des salariés, de Total et de l’État. Pour mieux comprendre les difficultés de ces acteurs à se mettre autour d’une table de négociations en vue d’une sortie de crise, TRT Français a interrogé Pierre Henry, politologue et président de France Fraternités.


Au sujet de la mobilisation des grévistes sur plusieurs sites pétroliers appartenant à Total Énergie, où en sommes-nous dans ce mouvement de grève ? Est-il en train de s’essouffler ?

Vous savez, dans une grande démocratie, il est normal que les syndicats fassent leur travail et formulent des revendications. Chacun a remarqué, dans ce pays comme dans l'ensemble de l'Union Européenne, une véritable crise autour du pouvoir d'achat et une inflation galopante. Donc, à partir de là, qu'il y ait des revendications salariales, c'est bien normal. La question est celle de la mobilisation dans des secteurs qui peuvent bloquer l'économie française. C'est le cas évidemment du secteur de l'énergie. Je rappelle que la CGT, qui est une des organisations syndicales en France, a souhaité faire une grève préventive dans un secteur dont les salaires ne sont pas les plus faibles chez les travailleurs français. En effet, on parle d'une rémunération moyenne pour ceux qui sont chez Total aux alentours de 4 000 € tout de même. Alors certes, Total a fait des bénéfices extrêmement importants. Il est normal que ces bénéfices soient répartis entre les actionnaires, l'investissement et puis évidemment les salariés.

Que devraient faire, selon vous, Total énergie, les syndicats et le gouvernement pour permettre une sortie de crise ?

Il faut simplement se mettre autour d'une table et ensuite considérer l'intérêt des travailleurs sans faire de politique politicienne. Cela n'a échappé à personne qu'il y avait aussi quelques échéances en termes d'élections professionnelles dans lesquelles les syndicats sont engagés. La CGT a souhaité, selon moi, revenir sur le devant de la scène à travers une pression accrue et le blocage d'un certain nombre de raffineries. Selon moi, on sort de la crise par un compromis avec plus de pouvoir d’achat pour les salariés et un pays non bloqué pour le gouvernement. Ce dernier doit, au-delà de ce mouvement social là, faire face à une série de menaces dans les mois qui viennent. Il y a dans notre société toute une série de tensions. Mais ces tensions ne convergent pas forcément car les intérêts des uns ne sont pas forcément les intérêts des autres. Ceci dit, nous sommes dans un moment d'incertitude.

Est-ce que, pour vous, nous sommes dans l'amorce d'un mouvement social ?

Je pense que si le pays est très tendu, ce mouvement social n'a pas forcément un avenir autour d'une grande mobilisation. Je pense qu'il n'est pas soutenu même avec plus de 100 000 personnes qui ont manifesté. C'est relativement peu pour un mouvement social et un pays comme la France. Cependant, on voit bien, encore une fois, que le pays est tendu en observant toute une série de revendications dans un certain nombre de corps de métiers. Est-ce que pour autant ces revendications peuvent converger vers un seul mouvement ? Et, finalement, pour quoi faire ? La situation internationale, évidemment, influe sur le moral de la population en général. Il y a beaucoup d'inquiétude sur la manière dont on va faire face à une éventuelle crise énergétique à la fois en termes d'approvisionnement et de coût. Personne ne sait quelle est la fin prévisible du conflit ukrainien. Ce que je veux simplement vous dire, c'est que la fameuse convergence des luttes, prônée par un certain nombre de syndicats et un parti politique à gauche qui est la LFI (La France Insoumise), ne me semble pas évidente. Les Français sont surtout préoccupés par leur pouvoir d’achat, en particulier à la fin du mois. Aussi, pronostiquer une explosion générale me paraît très hasardeux. Néanmoins, il ne faut pas non plus que le gouvernement se trompe sur le fait que même si la mobilisation demeure faible, il y a en même temps une espèce d'irritation extrêmement profonde dans la société française. Ce qui pourrait mener finalement à des tensions entre différentes catégories sociales.

TRT Francais