Le cargo Galaxy Leader est escorté par des bateaux houthis en mer Rouge. / Photo: Reuters (Reuters)

"Par ces attaques armées, les Houthis portent l’entière responsabilité de l’escalade", accuse-t-elle dans un communiqué publié le 24 janvier dernier.

La France condamne ainsi, sans détour, "la poursuite des attaques des Houthis contre des navires commerciaux", et les appelle à "libérer immédiatement le Galaxy Leader et son équipage, otages des Houthis depuis le 19 novembre 2023".

Un point stratégique mondial. 40% du commerce international planétaire transite par le détroit de Bab-El-Mandeb (" la porte des larmes" en arabe) qui sépare Djibouti et l’Erythrée, en Afrique, du Yémen situé sur la péninsule arabique. C’est dire l’enjeu pour les pays occidentaux alimentés, en matières premières ou produits manufacturés, notamment, par les pays asiatiques. Si les interactions commerciales semblent de plus en plus s’adosser aux réalités géopolitiques- une note de recherche publiée en décembre dernier par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) montre que les Etats-Unis ont réduit de 2% leur dépendance économique à la Chine depuis la fin 2022 tandis que la Russie a accru ses liens avec ce pays de 8%- les pays occidentaux restent fortement dépendants de cette zone pour ce qui est du commerce pétrolier.

Ainsi, en 2018, plus de 6 millions de barils par jour empruntaient cette voie maritime souvent qualifiée par les spécialistes "d’autoroute de la mer". Côté GNL (gaz naturel liquéfié), pas moins de 8% du trafic mondial a transité par le détroit l’an dernier. Des chiffres à la mesure de la place qu’occupe le passage dans les flux mondiaux.

Depuis le début des attaques des Houthis contre les navires, les armateurs sont, ainsi, contraints de contourner le détroit, induisant l’explosion des coûts mais aussi le rallongement des délais d’acheminement. Autre élément notable, le passage constitue l’un des accès les plus militarisés au monde. Les Etats-Unis y ont inauguré une base militaire en 2002 comptant 2000 hommes, 1300 pour la France. Plus important encore, une base navale chinoise y a pris ancrage en 2017 avec 10 000 hommes. Des indicateurs parlants qui expliquent les mots soupesés de la diplomatie française quant aux Houthis, membre de "l’axe de la résistance" mouvement d’ampleur regroupant des groupes armés anti-Israël et soutenus par l’Iran.

Déclaration univoque, raisons ambivalentes

D’ailleurs, l’Etat français rappelle son vote, le 10 janvier 2024, de la résolution 2722. Le texte insiste sur les fondements de la liberté de circulation et la possibilité des Etats de se défendre, "en accord avec le droit international", contre toutes formes d’attaques menées contre leurs bâtiments. Un rappel du droit international, en soi, salvateur, mais qui contraste avec la façon dont Israël s’en affranchit depuis plus de 100 jours dans la Bande de Gaza.

La position française interpelle. Alors que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne mènent des frappes depuis le 11 janvier contre des sites militaires, le président français Emmanuel Macron qui épouse la position de deux états n’a pas souhaité impliquer la France dans cette coalition.

Realpolitik

Un paradoxe qui interroge. Selon Georges Malbrunot, grand reporter français et spécialiste du Moyen-Orient, la France se trouve dans une sorte de dilemme. Relayant les confidences d’un contact, fin connaisseur de la région, le journaliste écrit dans un tweet du 13 janvier : "La France ne frappe pas les rebelles (…) pour une raison souvent oubliée : "les 5 milliards d’actifs que représente l’usine Total à Bahlaf, premier investisseur étranger au Yémen". Des mots qui replacent les intérêts économiques au centre des réalités.

Lord Palmerston, homme d’État britannique du 19e siècle ne déclarait-il pas, tout de cynisme vêtu, "les Etats n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts" ? La maxime frappe par son actualité. Si la France devait rejoindre la coalition anti-houthis, les frappes, actuellement menées, se font, donc, sans elle. Résultat, l’opération des Etats-Unis s’essouffle. De la vingtaine de pays annoncés dans cette coalition, l’implication timorée des Occidentaux est visible. L’exemple français illustre bien le difficile équilibre entre posture et intérêts. Reste que l’usine en question détenue à 40% par Total, en cessation d’activités depuis 2015, aurait servi de base militaire aux Emirats arabes unis, selon une enquête de Médiapart parue en 2019…Une confusion des genres qui illustre bien la porosité entre politique, valeurs et affaires.

Hasni Abidi, directeur du CERMAM, centre de recherches helvétique, apporte un éclairage supplémentaire pour saisir l’approche française.

"La non-participation militaire française dans l’opération militaire contre les Houthis en mer Rouge mais aussi au Yémen menée par Washington et Londres n’est pas un refus de l’opération elle-même", souligne-t-il. La déclaration de la diplomatie française en atteste. Moralement, elle condamne les actions des Houthis.

Pour autant, "c’est plutôt une politique de principe qu’observe Paris au regard des relations très compliquées avec le Hezbollah et avec l’Iran. Le Liban mène des discussions pour la stabilisation du pays et il a besoin du canal iranien mais aussi certaines factions libanaises pour avancer". Paris cherche à ménager sa monture jouant sur plusieurs tableaux, faut-il comprendre.

"Il est évident qu’une participation française réduirait la marge de manœuvre de Paris dans ces négociations avec le Hezbollah via ses intermédiaires libanais", ajoute-il. Une façon aussi d’affirmer une forme de leadership en s’affranchissant de la coalition américaine. Selon H.Abid, "l’alignement français sur la position de Washington depuis le 7 octobre, date de l’attaque du Hamas en Israël, a été perçu de manière négative par les pays arabes et certains diplomates français". Par conséquent, refuser de s’associer militairement à cette coalition en Mer rouge permet à Paris d’éviter un deuxième alignement sur la position américaine dans cette région". Et puis, la France le sait bien. "Face à la complexité de la situation, l’expérience diplomatique dans la région montre que seules les négociations diplomatiques avec les Houthis sont à même d’arriver à des conclusions", présage H.Abidi.

TRT Francais