France: les paris sportifs, un fléau qui ruine des vies et plonge les jeunes dans l’addiction / Photo: Reuters (Reuters)

Derrière ce juteux business se cachent des techniques de marketing qui sont pensées afin attirer les jeunes, souvent issus de milieux précaires ou de quartiers populaires, en reprenant leurs codes et leurs références. Une communication tournée vers les jeunes en situation de précarité L’appât du gain peut faire rêver et pousser à miser de grosses sommes. Mais derrière ce qui apparaît comme un jeu, se cache un marketing bien pensé, tourné vers les quartiers populaires avec des slogans racoleurs.

Les "Tout pour la daronne", "BetclicKhalass" ou encore "Grosse côte, gros gains, gros respect" qui ont pullulé pendant l’Euro 2020 sur les sites de paris en ligne, illustrent parfaitement le ciblage communautaire exercé.

Dénonçant "des pratiques visées", le député LFI (La France Insoumise) Carlos Martens Bilongo, va déposer "une proposition de loi visant à interdire la publicité des paris sportifs".

Il estime qu’avec la Coupe du monde en cours, "des millions de Français vont se faire flouer/voler sur des paris sportifs à cause de publicités incitatives". Mais au-delà des slogans, les sites les plus connus s’offrent régulièrement les services de figures des quartiers populaires pour vanter leurs activités. De l’influenceur Mohamed Henni, au rappeur Fianso, en passant par Gradur, ils sont nombreux à bénéficier d’une forte audience et à avoir fait, à un moment ou un autre, la publicité de ces sites décriés.

"Le ciblage communautaire, comme en témoigne le champs sémantique de leurs campagnes, est délibéré, structuré. Ils visent des joueurs précaires, dans des zones reléguées", pointait il y a quelques mois le statisticien Marwan Muhammad dans un entretien au journal Le Monde. La descente aux enfers à la clé Ce qui apparaît pourtant comme un simple jeu, se transforme souvent en cauchemar et plonge certains joueurs dans une détresse qui peut devenir inextricable. "Au début je jouais de petites sommes: 5 ou 10 euros par match. mais j’ai très vite augmenté les sommes par appât du gain", explique Karim.

Employé municipal dans une commune de banlieue parisienne, il reconnaît être "tombé dans un engrenage" duquel il "n’arrive plus à sortir". "Après avoir remporté des montants conséquents, dépassant les 200 ou 300 euros, j’ai voulu aller plus loin, certain que j’allais encore multiplier les gains mais j’ai foncé droit dans un mur", grince ce père d’un petit garçon de deux ans.

Pour autant, devenu complètement dépendant à ces paris en ligne, qu’il qualifie de "drogue", il ne parvient pas à s’en défaire.

Il assure que sa "vie de couple a failli être détruite par ce fléau" mais qu’il continue "discrètement à jouer en priant pour que (son) épouse ne le découvre jamais". Et les récits sont les mêmes, chez de nombreux joueurs. Nassim, 26 ans, est sans emploi. Le jeune homme explique à l’Agence Anadolu qu’il a "emprunté de l’argent" et "vendu des biens personnels pour assouvir ce besoin de parier".

"À chaque fois, j’étais persuadé que ce coup-ci, j’allais gagner et récupérer l’argent que j’avais perdu, mais c’est devenu de mal en pis", souffle cet habitant d’un quartier sensible des Alpes-Maritimes.

Il pointe surtout "les mails qui sont envoyés" dès que le joueur parvient à ne pas parier pendant quelques jours.

"Ces messages proposent des réductions et offrent parfois jusqu’à 100 euros de paris gratuits, donc forcément, si tu n’es pas solide, tu cliques, tu te laisses avoir et tu replonges", détaille cet ancien employé de fast-food.

Il le reconnaît du bout des lèvres, c’est bien "une addiction", "une drogue", voire "une maladie" dont il n’arrive pas à se défaire et qu’il cache à ses parents chez qui il vit encore "pour ne pas être mis à la porte". Les autorités veulent un meilleur encadrement des publicités Santé Publique France estime que 72% des joueurs ont moins de 35 ans et que 40% ont entre 18 et 25 ans tandis que les prévisions de l'Autorité nationale des jeux (ANJ) font état de 500 à 600 millions d’euros qui pourraient être misés en France pendant la Coupe du monde en cours. Interrogée par BFM Business, la présidente de l'ANJ, Isabelle Falque-Pierrotin, tire la sonnette d’alarme et souhaite une meilleure réglementation des publicités sur les paris sportifs. Reconnaissant que "le climat économique actuel fait qu'il y a beaucoup de jeunes qui sont dans une situation de précarité importante", elle fustige le "déferlement médiatique et publicitaire" auquel se sont livrés les sites de paris pendant l’Euro 2020. "Il faut encadrer cette pression publicitaire et éviter que celui qui parie, et qui parie pour la première fois, car il va y avoir beaucoup de nouveaux parieurs, ne tombe dans le jeu excessif", a-t-elle déclaré, plaidant pour "que la publicité qui accompagne ces paris soit responsable". Et pour mettre en garde contre les conséquences des paris incontrôlés, l’ANJ a mis en ligne, il y a quelques jours, un clip de sensibilisation intitulé "t’as vu, t’as perdu" sur fond de rap. Les paroles sont claires : "toi qui croyait te faire des thunes en un clic, c’est tes économies qui claquent".

AA