Seine-Saint-Denis: rassemblement d'enseignants devant le ministère de l'Education / Photo: AFP (AFP)

Il est le théâtre d'une mobilisation initiée par les syndicats enseignants (FSU, CGT, SUD, CNT et FO). Ces derniers se sont rassemblés ce jeudi, place de la Sorbonne à Paris, avant de marcher jusqu'au ministère de l'Éducation nationale.

Ils exigent la mise en place d'un plan d'urgence pour l'école dans ce qui est considéré comme le département le plus jeune et le plus pauvre de France. Outre cette revendication, ils expriment également leur opposition à la réforme des groupes de niveau, surnommée "réforme du choc des savoirs". Ce mouvement, qui marque sa deuxième semaine de grève, traduit une frustration profonde face à un manque de moyens chroniques.

Cette mobilisation vise à interpeller Nicole Belloubet, actuelle ministre de l'Éducation, qui s'est dite "très attentive" au mouvement social en Seine-Saint-Denis. Selon les syndicats enseignants, ce mouvement de grève en Seine-Saint-Denis souligne l'urgence d'adresser les disparités éducatives dans les zones les plus défavorisées de France.

Alors que la ministre semble ouvrir la porte à des discussions, il reste à voir si les actions et les rencontres prévues mèneront à des solutions concrètes et satisfaisantes pour les enseignants et les élèves du département. En tout cas, cette mobilisation se donne l'objectif d'alimenter un débat plus large sur l'équité en éducation au niveau national.

La défense de l'école publique

Anadolu a interrogé, ce jeudi, le député la France Insoumise (LFI) Alexis Corbière, professeur de métier, qui était également présent à la manifestation, place de la Sorbonne, sur les raisons de cette mobilisation.

"Je suis ici pour soutenir cette mobilisation du département de la Seine-Saint-Denis, dont je suis élu, pour la défense de l'école publique," a d'abord expliqué le député LFI, en réponse à notre interrogation sur sa présence dans cette manifestation.

Il a ensuite souligné l'ampleur de cette mobilisation, impliquant enseignants et parents, et l'inégalité des moyens attribués aux écoles de Seine-Saint-Denis par rapport à d'autres départements. "60 % des établissements, aujourd'hui, étaient mobilisés en Seine-Saint-Denis," a-t-il précisé.

Corbière a ensuite détaillé les demandes spécifiques des manifestants, soit un plan d'urgence de 358 millions d'euros pour embaucher près de 5000 enseignants, afin d'assurer ainsi un remplacement adéquat : 2000 postes pour le premier degré, 2000 postes pour le deuxième degré, mais aussi des personnels d'encadrement. Citant un exemple concret, le député de Seine-Saint-Denis a rappelé qu'il y a 40 % des établissements de son département dans lequel il n'y pas de médecin scolaire".

Inégalités dans l'éducation publique

Outre le manque criant de personnel en Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière a également critiqué la répartition des ressources gouvernementales, en mettant en contraste les sommes investies dans des projets comme le Service national universel (SNU) et les besoins réels des écoles du département. "C'est 350 millions qui sont exigés.

"Pour qu'on se comprenne bien, la seule mise en place du Service national universel (SNU) que met en place le gouvernement, qui est un truc assez gadget, ou l'uniforme à l'école dont vous avez peut-être entendu parler, tout ça, ça coûte 2,5 milliards d'euros," a-t-il expliqué. "Si seulement on mobilisait 15 % de ces sommes pour des choses qui sont sans objet, en vérité, on pourrait créer ce plan qui permettrait déjà que nos écoles soient au même niveau que les établissements" des autres départements, a-t-il souligné.

Le député a aussi mis en lumière le manque d'équipements sportifs en Seine-Saint-Denis, en comparaison avec la moyenne nationale, et a abordé le sujet des Jeux Olympiques prochains qui se tiendront dans ce département. Corbière a souligné l'incohérence entre l'investissement dans cet événement et les lacunes dans le secteur de l'éducation. "La Seine-Saint-Denis, c'est seize équipements sportifs pour dix mille habitants, la moyenne en France, c'est 50 équipements sportifs pour dix mille habitants," a-t-il affirmé.

"Un gamin sur deux en Seine-Saint-Denis ne sait pas nager parce qu'il y a moins de piscines que dans d'autres départements. C'est un département, contrairement à l'idée qu'on peut en avoir, qui ne bénéficie pas des moyens pour que le service public de l'école soit de qualité. C'est pourquoi beaucoup d'enseignants se mobilisent", a ajouté Corbière.

"Séparatisme scolaire"

Dans la suite de l'interview, Alexis Corbière a dénoncé un système éducatif à "plusieurs vitesses" selon la géographie et la classe sociale des familles.

"Il y a plusieurs vitesses, mais en particulier dans nos villes populaires. Il y a un séparatisme scolaire en vérité. Vous savez, le gouvernement utilise le mot de séparatisme sur autre sujet. Mais, selon les villes dans lesquelles vous habitez, en vérité, (en particulier, on est à côté de Paris), il y a des rapports parlementaires qui disent que les écoles les moins bien dotées à Paris, sont mieux dotées que les mieux dotées du département [de Seine-Saint-Denis]", a-t-il rappelé, avant de dénoncer "un mépris social".

"Les écoles des familles populaires sont celles où il y a les professeurs les plus précarisés. Quand les professeurs sont absents, il n'y a pas de moyen de remplacement. Vous avez beaucoup de personnels très précaires. Donc, c'est clair qu'il y a une dislocation, en vérité, du droit à l'égalité à l'éducation en France, et ce n'est pas vrai que selon les départements, vous avez droit à la même école. Donc c'est ça. Les gens veulent la justice et l'égalité", a-t-il souligné.

Ce témoignage éloquent du député vient nourrir le débat sur l'équité dans le système éducatif français et soulève des questions fondamentales sur les priorités de l'allocation des ressources gouvernementales.

Outre les problèmes d'infrastructure dans son département défavorisé, le député LFI a critiqué certaines politiques éducatives actuelles du gouvernement, telles que la création des groupes de niveau et les augmentations insuffisantes des salaires des enseignants, tout en appelant à la titularisation de nombreux travailleurs précaires dans le secteur éducatif. "Il y a les personnels enseignants qui se sentent trahis, humiliés par des fausses augmentations de salaire," a-t-il indiqué, alors que le pouvoir d'achat du personnel éducatif a été rogné par des années de gel de leurs salaires puis par l'inflation.

AA