Bilan mitigé de Jean-Michel Blanquer à la tête du ministère de l’Education nationale de 2017-2022 (Reuters)

Jean-Michel Blanquer vient de quitter le ministère de l’Education nationale après 5 années, un record de longévité au sein de ce ministère. Il a passé la main à Pap N’Diaye et il se présente aux élections législatives de juin dans le Loiret. Aussi, quel souvenir Monsieur Blanquer laissera-t-il ? Quel bilan peut-on faire de ses réformes au sein de l’Education nationale ? Pour y répondre, nous sommes allés à la rencontre d’un enseignant, Guy Renotte, docteur et agrégé de philosophie au lycée Les Pierres Vives à Carrières-sur-Seine en Ile-de-France.

Quel regard portez-vous sur le bilan de Jean-Michel Blanquer ces cinq dernières années (2017-2022) à la tête du ministère de l’Education nationale ?

Je porte un regard plutôt négatif au regard de ce qui était attendu de ses réformes et du résultat que l'on peut constater aujourd'hui. Commençons par les ambitions affichées par le ministre : parler au plus grand nombre, résorber les inégalités sociales, redonner du lustre à un métier qui n'en a plus beaucoup. Aujourd'hui, les résultats sont plutôt négatifs de ce point de vue. Je pense qu'il faut bien distinguer le plan de la méthode de celui du contenu de la réforme. Sur la méthode, le ministre a fait des réformes comptables en économisant de l'argent contrairement aux investissements massifs dans l'éducation observés en Allemagne. En France, il n'y en avait pas. La grande réforme de son quinquennat avait de hautes exigences mais peu de moyens. Si bien que les réformes donnent le sentiment d'avoir été faites dans la précipitation. Il aurait fallu, pour les réussir, beaucoup de concertation avec les syndicats et les enseignants. Durant le confinement, c'était la même méthode appliquée, on recevait par exemple les circulaires du jour au lendemain.

Comment les élèves ont-ils été impactés par les réformes ?

Dans mes classes, j'enseigne la nouvelle spécialité HLP (Humanités, littérature et philosophie). Les programmes sont très ambitieux. En 1ère, on doit enseigner les pouvoirs de la parole au premier semestre et les représentations du monde au second. Cela va de l'Antiquité grecque jusqu'à la période actuelle mais nous n'avons pas le temps de les former avec deux heures par semaine. De plus, on demande aux élèves d’acquérir des contenus de savoir et des méthodes de travail pour lesquels nous n’avons matériellement pas le temps de les former. Il était prévu que les épreuves anticipées aient lieu en mars, le ministre a été contraint, compte tenu du Covid, de les reporter après avril. En corrigeant les copies, on s'aperçoit malheureusement que nous en sommes réduits à noter des « fulgurances », pour reprendre l’expression de certains inspecteurs, faute de cadre et de référentiel précis. Les enseignants déplorent ce manque de « cadrage » alors même que, paradoxalement, Jean-Michel Blanquer a enchaîné les réformes. Le ministre avait promis de limiter ces dernières.

Il avait indiqué ne pas vouloir faire de loi et de circulaires. En fait les lois se sont succédées, notamment la "loi sur l'école de la confiance". Et les professeurs ont croulé sous des "référentiels" ou des "livres" dictant de plus en plus leurs pratiques pédagogiques.

Observez-vous des séquelles chez vos élèves depuis le premier confinement tant dans l'apprentissage, la concentration que la réflexion ?

Oui. Il y a des séquelles profondes chez nos élèves. Ils sont plus dépressifs, plus inquiets et plus fragiles. On observe des cas de harcèlement et de phobie scolaires. Dans une classe, on en a deux ou trois maintenant qui ont une phobie scolaire voire quittent l'école au milieu de l'année. La pression est plus lourde, les élèves ont perdu des automatismes en étant trop éloignés de l'écrit et du maniement de la langue. En termes de concentration également, je fais le même constat alors que j'enseigne dans un établissement plutôt favorisé.

Et chez les enseignants ? Pour quelles raisons y-a-t-il, à la fois, une crise de vocation pour devenir enseignant et une vague de démissions des enseignants en poste ?

Tout d'abord, la question des salaires se pose avec le point d'indice qui a été gelé depuis 10 ans. Avec environ 1750 euros net par mois en début de carrière et des possibilités d'évolution faibles, je comprends que le métier attire moins dans l'Éducation nationale. Cependant, dans certains pays européens, un enseignant peut gagner jusqu'à deux fois plus. Pour les enseignants déjà en poste, la manière de travailler a considérablement évolué, et ce dans le mauvais sens. En effet, les nouvelles techniques de management "libérales" pénètrent l'école, les chefs d'établissement ne sont plus forcément des enseignants. Ils viennent d'autres horizons et ont une culture managériale avec laquelle on peut user de techniques de harcèlement observées chez France Télécom il y a quelques années. C'est devenu courant, on ne fait plus confiance aux professeurs devenus objets de contrôle voire de défiance. On ne leur accorde plus le statut que les enseignants avaient autrefois.

Qu’est-ce que le nouveau ministre de l’Education nationale, Pap N’Diaye, peut apporter de plus ? Peut-il encore susciter un nouvel espoir pour les enseignants ?

Cela a été une surprise. Il n'a pas du tout le même profil que Jean-Michel Blanquer. Sa sœur Marie N'Diaye, écrivaine renommée, dit de lui qu'il est un conciliateur et un pacificateur. Il peut en effet œuvrer à un rapprochement entre le ministère et les enseignants. Le ministre a pour challenge de revaloriser la fonction enseignante en donnant envie aux jeunes de choisir ce métier avec de meilleurs salaires et plus de considération. On doit davantage valoriser le sens de la transmission et la mission humaniste des enseignants au lieu de mettre en avant des critères pour mesurer leur efficacité. Les enseignants sont actuellement sous pression à cause des moyennes qui comptent dans l'obtention du Bac et pour Parcours Sup. Les familles exigent que leurs enfants accèdent à un enseignement de qualité et font de moins en moins confiance à l’école publique pour le prodiguer. Le ministre ne fera pas de miracle même s'il reste un symbole intellectuel fort. Mais quels seront les moyens qui lui seront dévolus pour renouer des liens avec la communauté enseignante et redonner du lustre au métier d'enseignant ? On espère que Pap N'Diaye prendra la mesure de la pression qu'il a sur les épaules. Les attentes sont grandes !

TRT Francais