Questions sur la gestion du Fonds Marianne contre le séparatisme / Photo: AFP (AFP)

Lancé dans le sillage de l’assassinat de Samuel Paty, cet outil devait permettre de porter un "contre-discours républicain” contre "l’islam radical sur les réseaux sociaux". Entre amateurisme, opacité et coup marketing, la ministre Marlène Schiappa, alors en charge de la Citoyenneté, est “responsable du fiasco".

"La dérive d’un coup politique". Ces mots forts figurent dans le rapport sénatorial de la commission des Finances, publié le 6 juillet dernier.

En s’appuyant sur des données chiffrées mais aussi sur les auditions des protagonistes du Fonds Marianne, la commission dresse un constat accablant concernant “cette opération de communication” annoncée par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté (et sous la tutelle de l’Intérieur), le 21 avril 2021, sur la chaîne BFM TV.

Annoncé dans le sillage du meurtre de Samuel Paty, enseignant décapité en octobre 2020 par un terroriste, le fonds Marianne promeut, alors, les valeurs de la République et porte un contre-discours républicain face à “l’islam radical”, sur internet.

Une ambition qui explique, certainement, l’intransigeance des mots contenus dans le rapport sénatorial. Présidée par Claude Raynal, sénateur socialiste de Haute-Garonne, la commission des Finances de l’Assemblée nationale suit et contrôle l’utilisation du budget de l’État. Et en la matière, ses membres ont pu apprécier la gestion particulière des 2.5 millions d’euros obtenus par Mme Schiappa.

Pensé pour porter un “contre-discours républicain” sur les réseaux sociaux, le Fonds Marianne est l’un des outils du gouvernement français pour endiguer “le séparatisme” et la radicalisation identifiés par les autorités françaises. C’est le CIPDR (comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation) dirigé par le préfet Christian Gravel- démissionnaire depuis- qui conduit l’action. Un appel à projets, appelé Fonds Marianne, destiné à “soutenir des actions en ligne, à portée nationale, destinées aux jeunes de 12 à 25 ans exposés aux idéologies séparatistes qui fracturent la cohésion sociale et abîment la citoyenneté” est alors lancé.

Le 7 juin 2021, le Fonds Marianne sélectionne 17 associations sur 71 dossiers reçus. Le 29 mars, une enquête conjointe de Marianne et France 2 constate une gestion opaque du fonds. Très vite, des noms ressortent notamment de quatre associations. Parmi elles, l’USEPPM (Union Fédérative des Sociétés d’éducation physique et de préparation militaire) et “Reconstruire le commun”. La première, dirigée par Cyril Karunagaran et le sulfureux Mohamed Sifaoui ont décroché 355 000 euros. La seconde, 333 000 euros, une somme importante malgré l’absence de réalisations antérieures. Les sommes parlent d’elle-même. Les suspicions de compagnonnage émergent. Corroborées, à-postériori, par le rapport sénatorial. On y apprend, par exemple, que les quatre associations de tête ont absorbé à elle-seules, 64% des deniers publics. Au total, 2,02 millions d’euros ont été distribués.

L’affaire éclot, à la faveur d’alertes lancées en interne par des agents publics. Ces signalements, bien-sûr resteront anonymes. Une enquête de Médiapart, parue le 12 avril dernier, pointe, également, les collusions politiques du Fonds. Reconstruire le commun a, ainsi, produit des vidéos ciblant des opposants à Emmanuel Macron, alors en pleine campagne présidentielle pour un second mandat.

Auditionné, comme la ministre Schiappa ou Mohamed Sifaoui, en juin dernier, le préfet Gravel a reconnu les faits, assurant que ses “équipes” avaient alerté l’association. Le 14 juin dernier, Marlène Schiappa a paru bien à la peine pour justifier ce fiasco gouvernemental. Acmé de son argumentaire de défense- qui s’est retourné contre elle- l’existence d’un mail envoyé par ses collaborateurs. Dans cette missive, la ministre insiste avoir refusé l’octroi d’une subvention de 300 000 euros d'argent de l'État pour ce projet, cela me paraît énormissime". Si “cela démontre bien que j'ai trouvé que ce projet était trop coûteux”, selon elle, ce mail, cheville ouvrière de la défense de la ministre, montre que l’association avait acquis l’assurance d’une subvention en dehors de toute procédure légale.

“Ni transparent, ni équitable”. Le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sonne comme une confirmation supplémentaire. Dans un second rapport, l’IGA a appuyé les conclusions de celui de la commission d’enquête du Sénat, le même jour.

Avec le Fonds Marianne, la +macronie+ n’en est pas à son premier scandale. Qui a oublié l’affaire Benalla ou l’affaire Richard Ferrand. Reste que les pratiques de Schiappa relèvent probablement du mensonge. Le sénateur Jean-François Husson, membre de la commission sénatoriale, a eu des mots fermes à son encontre. “Elle n’a pas dit la vérité”, a-t-il conclu dans une interview au groupe Ebra assurant que la justice fera son travail”. En attendant, la ministre n’a pas démissionné. Un geste fort dans une France bousculée par une révolte dans les quartiers. En mal d’exemplarité venu d’en-haut.

TRT Francais