Emmanuel Macron au sommet du G5 Sahel  à  Nouakchott en juin 2020 / Archive: Reuters (Reuters)

La visite effectuée au Tchad du 7 au 10 mars par Jean-Marie Bockel, “l’envoyé spécial” du président français Emmanuel Macron, jadis pourfendeur de la Françafrique, ne cesse de susciter des interrogations auprès des analystes des relations entre la France et l’Afrique.

Il a été commissionné par le chef de l’État français le 2 février dernier pour revoir les formats et les modalités d’action “du futur dispositif militaire français en Afrique”, contrarié dès 2022 par les coups d’État au Mali (2020,2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), à l’origine du départ des forces françaises du Sahel.

"Il faut rester et bien sûr, nous resterons", a déclaré, devant la presse présidentielle seule conviée, Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la coopération du président Nicolas Sarkozy (2007).

"Le président Macron m'a demandé de travailler" avec N'Djamena "à une adaptation, à une évolution de notre dispositif de manière à mieux l'adapter (...) aux enjeux militaires, sécuritaires de la région", a poursuivi M. Bockel après une entrevue avec le général Mahamat Déby, le président de transition.

Mais c’est lorsque l’ancien secrétaire d’État à la coopération du président Nicolas Sarkozy (2007) a commencé à signifier “l’admiration” de la France pour la gouvernance de Mahamat Deby que “les masques sont tombés”.

"J'ai exprimé au président de la République à la fois notre admiration pour le processus qu'il a engagé au sein de son pays, également pour la capacité du Tchad à faire face en même temps à un certain nombre de menaces grâce à des forces armées engagées", a appuyé l'envoyé français.

Pour Seidik Aba, journaliste, universitaire, spécialiste de l'Afrique et auteur d’une dizaine d’ouvrages sur le Sahel, “les propos de Jean-Marie Bockel (...) confirment la politique de double standard ou de deux poids deux mesures qui a été reprochée à la France. Elle condamne avec beaucoup de fermeté la prise de pouvoir au Mali, au Burkina et au Niger et est moins intransigeante avec le Tchad”.

Pour l’auteur de “Mali-Sahel: notre Afghanistan à nous ?”, “la France n’a pas suffisamment tiré les leçons des reproches qui lui ont été faits. Cette politique de double standard a été un des éléments qui a été fondamental pour le rejet de la France au Sahel.”

“Dans ces pays-là, les opinions publiques ne comprennent pas comment la France peut promettre de soutenir l’intervention de la CEDEAO pour rétablir la démocratie au Niger, et qu’elle se montre moins intransigeante avec le Tchad. Et qu’elle se permette même d’apporter un soutien plus ou moins affirmé au président Mahamat Deby, candidat à son maintien au pouvoir, dans la perspective des élections de mai prochain”.

Le 28 juillet dernier, le président français Emmanuel Macron avait condamné, "avec la plus grande fermeté le coup d'État militaire" du Niger, en marge de sa visite à la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Macron avait qualifié le putsch de “dangereux“ pour la région et a appelé à la libération du président Mohamed Bazoum.

"Ce coup d'État est parfaitement illégitime et profondément dangereux pour les Nigériens, pour le Niger, et pour toute la région", a déclaré Emmanuel Macron, lors d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, James Marape.

Sur la même lancée, il a déclaré: "C'est pourquoi nous appelons à la libération du président Bazoum et à la restauration de l'ordre constitutionnel".

Catherine Colona, alors ministre française des Affaires étrangères, avait, lors d’une visite début novembre au Nigeria, fait montre de la même fermeté en faisant allusion aux coups d’État au Mali, Burkina Faso et Niger.

"Nous devons faire mieux [...] pour rétablir l'ordre constitutionnel" dans ces pays, avait-elle martelé avant d’ajouter "Nous serons là pour soutenir les efforts de la Cédéao. La situation ne peut pas rester en l'état sans nuire à l'avenir des populations".

Realpolitik

Pourtant le Tchad, commente l’analyste politique malien Idrissa Sangré, “fait exactement le contraire de ce que prêche la France en matière de respect des normes démocratiques et des droits humains”.

Il cite à titre d’exemple, “la prise de pouvoir par coup d’État de Mahamat Deby, à la mort de son père Idriss Deby le 20 avril 2021, dans des conditions non élucidées”.

La présence d’Emmanuel Macron aux obsèques d’Idriss Deby le 23 avril 2021, “s’apparente à une caution morale du coup de force opéré deux jours plus tôt”.

De la “realpolitik”, affirme l’essayiste tchadien, Eric Topona, auteur de “Essai pour la refondation du Tchad”. Il évoque la mort violente du principal opposant Yaya Dillo Djérou Betchi, tué le 28 février dernier, lors de violents heurts avec l’armée, au siège de sa formation politique, le Parti socialiste sans frontières (PSF) à N’Djamena.

Pour Seddik Aba: “il est temps de tirer les leçons pour comprendre que, ce type de comportement ne permettra pas à la France de se réconcilier avec une partie de l’opinion africaine” car, affirme-t-il, la politique du deux poids deux mesures ou du double standard ne fera qu’affaiblir son influence et limiter sa popularité sur le continent africain”.

TRT Francais