Crise de l’énergie en Europe: la taxation des superprofits sur le point de voir le jour (Reuters)

Le débat fait rage depuis des semaines. Les grosses compagnies pétrolières et gazières, les sociétés de transport maritime, les banques et compagnies d’assurance sont dans le viseur. Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, l’envolée des cours du pétrole, du gaz et de l’électricité a permis aux grandes entreprises du secteur énergétique de multiplier leur chiffre d’affaires. Par exemple, Total Energies a plus que doublé son bénéfice net au deuxième trimestre 2022, à 5,7 milliards de dollars, contre 2,2 milliards au même trimestre de 2021. Chez EDF, le chiffre d’affaires a augmenté de 67,2 % au premier semestre 2022.

Si le terme de "superprofit" a émergé dans le débat public, il ne représente pas pour autant une notion économique. Désignant seulement des profits exceptionnels, cette notion n’a pas encore de définition claire, de seuil, de critère ou encore de méthode de calcul fiscale.

Quant au principe de taxation des superprofits qui prend de plus en plus d’ampleur dans l’espace public, il s’agit de faire payer une certaine somme aux entreprises qui profitent de la hausse des cours pour augmenter leurs bénéfices. Cette somme qui serait distribuée aux citoyens, permettrait selon ses défenseurs, de contribuer à redonner un meilleur pouvoir d’achat aux citoyens.

Encouragés par l’ONU et la Commission européenne, plusieurs pays l’ont déjà adoptée, comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie ainsi que le Royaume-Uni. L’Italie a par exemple mis en place une contribution extraordinaire de solidarité sur les entreprises de l’énergie.

En vertu de ce principe, les entreprises productrices, distributrices et importatrices d’électricité, de gaz (naturel ou méthane), ou de produits pétroliers doivent payer une taxe "bénéfice exceptionnel" de 25% lorsque le solde des achats et des ventes dépasse un certain seuil par rapport à l’année dernière.

Au Royaume-Uni, une taxe exceptionnelle de 25% est imposée aux compagnies pétrolières, en Espagne, le gouvernement a aussi créé une taxe de 25% qui entrera en vigueur en 2023.

Taxe ou contribution ?

Si les gouvernements déclarent les deux notions bien distinctes, certains avancent qu’en refusant d’employer le mot taxe, ils jouent sur les mots.

L’Allemagne, qui a mis en place un plan de 65 milliards d’euros pour amortir les effets de l’inflation, a aussi annoncé vouloir instaurer une contribution obligatoire aux entreprises énergétiques. Cette contribution décrite comme "prélèvement sur les bénéfices excédentaires" ne relève cependant pas du droit fiscal. Le mot "taxe" n’est donc pas employé, le gouvernement préférant réguler le marché en instaurant "un plafond de recette".

Focus sur le débat en France

À l’heure où le président français fait appel à chaque occasion à la sobriété énergétique et souligne "la fin de l’abondance", l’idée de taxation fait son chemin dans la classe politique, la majorité mais aussi dans l’exécutif français.

"Il est temps de taxer les profiteurs de crise qui se sont enrichis grossièrement" depuis le début du conflit en Ukraine, a lancé Jean-Luc Mélenchon lors de la rentrée politique de La France insoumise.

Si le ministre de l'Économie Bruno Le Maire est contre la taxation des multinationales, la première ministre Élisabeth Borne a déclaré ne pas "fermer la porte". "Dans la période actuelle, les Français ne comprendraient pas que, parce qu’il y a de l’inflation, des entreprises dégagent des profits exceptionnels", a-t-elle souligné.

Soutenu par le ministre délégué aux Comptes publics Gabriel Attal, Le Maire a quant à lui jugé l’idée de "non sens" en défendant que "taxer plus en France, c’est produire moins en France".

Si le Parti socialiste a proposé de lancer un référendum d’initiative partagée (RIP) sur le sujet, la question sera étudiée de près par une "mission flash" de la commission des Finances de l’Assemblée nationale qui débutera dès le mois prochain.

Pour les sénateurs centristes, la taxation des superprofits permettrait d’"atténuer les effets des crises auprès de tous", avait plaidé l’élue Sylvie Vermeillet.

Les députés de la NUPES proposent d’affecter les recettes de la taxe à plusieurs mesures du pouvoir d’achat, telle que l’augmentation du salaire des fonctionnaires et des pensions de retraite, la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire ou encore des APL.

Concrètement, un mécanisme de prélèvement existe déjà en France pour les entreprises productrices d’électricité. Voté en 2016, dans le cadre des "dispositions particulières à l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables", un article du code de l’Énergie prévoit que, lorsque le coût de production pour un producteur d'électricité est plus élevé que le prix de vente de l'électricité, l'État compense la différence.

Mais avec l’augmentation des prix de l'électricité liés à ceux du gaz, c'est l'effet inverse qui s'est produit. Le coût de production de ces entreprises est devenu moins élevé que le prix de vente. L'État a donc échangé les rôles via l'article 38 du projet de loi de finances rectificative pour 2022, voté le mois dernier pour récupérer la différence.

Une contribution européenne en vue

Le gouvernement allemand s’est dit favorable à l’introduction d’une telle contribution au niveau européen. Pendant que les débats sur le sujet continuent dans son pays, le président français Emmanuel Macron a exprimé son soutien pour une contribution européenne. "Nous défendons un mécanisme de contribution européenne […] qui serait demandée aux opérateurs énergétiques", a-t-il déclaré. Une contribution qui pourrait ensuite être "reversée aux États pour financer leurs mesures nationales ciblées".

Si les ministres de l’Énergie doivent se retrouver demain à Bruxelles pour en discuter, la commission européenne travaille de son côté sur le projet pour permettre sa concrétisation. Le principe serait de prélever les profits au-dessus d’un plafond déterminé au préalable en fonction du type d’énergie afin de les redistribuer pour alléger leurs factures. Les pays mixant plusieurs énergies différentes, le pari de déterminer un plafond pour chacun d’entre eux n’est pas gagné.

La secrétaire d’État aux Affaires européennes Laurence Boone a expliqué que le but ne serait pas de récupérer toute la marge mais seulement une partie. Le processus n’est quant à lui pas encore défini, la somme pourrait être récupérée via un impôt ou via un prélèvement au fil du temps. La question de qui le récupère (au niveau gouvernemental ou européen), et comment cet argent sera distribué n’a pas encore gagné de clarté. Si la somme est prélevée au niveau européen elle sera probablement distribuée aux États en fonction de leur besoin par principe d’égalité, ce qui ne fait pas l’unanimité à la Commission européenne.

Agir au niveau européen permettra également aux gouvernements de tenir leur promesse de ne pas créer de nouvel impôt, c’est notamment le cas de la France et de l’Allemagne.

TRT Francais