Coup d'État au Niger: la CEDEAO face à l'épineuse question de l’intervention militaire / Photo: AFP (AFP)

L'histoire se répète avec une régularité troublante: la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), soutenues par l'Union africaine (UA) exhortent le rétablissement de l'"ordre constitutionnel" au Niger, en imposant des sanctions économiques. Cette tendance alarmante a affecté par le passé le Mali, la Guinée et le Burkina Faso.

Le Nigeria, qui avait été en retrait sous la présidence de Buhari, semble désormais, après l’élection du président Bola Tinubu, devenu également président en exercice de la CEDEAO, prêt à retrouver un rôle central dans la région, mais avec une perspective différente. Plutôt que de proposer des projets d'intégration économique et politique, le Nigeria évoque désormais une éventuelle intervention militaire. Cependant, cette initiative risquerait de saper les fondements de la CEDEAO et de l'Uemoa.

Au cœur des remous qui secouent actuellement l'Afrique de l'Ouest, le fondement juridique d'une intervention militaire soulève plusieurs questions. Les mécanismes légaux au sein de la CEDEAO ne semblent pas clairement autoriser une telle action. Les protocoles établis après des crises passées ne prévoient pas explicitement une intervention armée pour restaurer la démocratie. De plus, les sanctions économiques imposées ont des conséquences sur les populations ordinaires et posent des défis pour la cohérence des traités de la CEDEAO.

Sur quelles bases la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) envisage-t-elle une intervention militaire ? Comme le remarque Lionel Zevounou, maître de conférences en droit public à l’université Paris Nanterre, dans une tribune pour afriqueXXI, cette question perturbante trouve ses origines dans l'article 58 du traité modifié, renforcé par le protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, en complément du protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité signé à Dakar en décembre 2001.

Néanmoins, ces textes ne justifient pas une intervention armée. Bien qu'une gamme de sanctions graduées soit envisagée (article 45) en cas de "rupture de la démocratie par quelque procédé que ce soit", il demeure difficile de percevoir une justification légale autorisant une intervention militaire.

Il faut se rappeler que les protocoles de "Lomé" (1999) et de "Dakar" (2001) sur lesquels peuvent s’appuyer les pays en faveur d’une intervention militaire, ont été créés en réaction à l'intervention de l'ECOMOG durant les guerres civiles dévastatrices au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau. Ce sont ces conflits fratricides qui ont été le fondement de ces protocoles. De fait, cette situation diffère grandement de celle du Niger, du Mali, de la Guinée ou du Burkina Faso.

Cependant, la possibilité d'une interprétation extensive du protocole A/SP1/12/01 soulève d'autres défis, notamment la cohérence interne du traité de la CEDEAO. De nombreuses dispositions entrent en conflit avec les sanctions infligées. Le Niger, pays enclavé, est soumis aux dispositions du chapitre XIII du traité, qui inclut l'article 68 dédié aux États membres en difficulté économique et sociale, particulièrement les États Membres insulaires et sans littoral auxquels est réservé un “traitement spécial en ce qui concerne l’application de certaines dispositions du Traité” et “toute autre assistance nécessaire”.

Non seulement, les actions telles que la réduction de l'approvisionnement énergétique ou la fermeture des frontières auraient un impact direct sur les citoyens nigériens, mais une intervention militaire éventuelle contreviendrait à l'article 4 du traité, mettant en avant les principes fondamentaux du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales :

"d) non-agression entre les États Membres ; e) maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales par la promotion et le renforcement des relations de bon voisinage ; f) règlement pacifique des différends entre les États Membres, coopération active entre pays voisins et promotion d’un environnement pacifique comme préalable au développement économique"

D’autant plus que la consultation des parlements nationaux, souvent ignorée, devient cruciale dans le processus décisionnel. Le président Tinubu a consulté le Parlement nigérian avant d'envisager une intervention militaire, mais le Sénat nigérian a exprimé son opposition à l'usage de la force, dans une résolution datant du 5 août 2023.

Dans l'échiquier complexe des affaires africaines, la CEDEAO semble peu à peu se transformer en une plateforme favorisant des interventions occidentales, camouflées derrière la restauration de "l'ordre constitutionnel" et la "bonne gouvernance", fait remarquer, dans ce contexte Lionel Zevounou. Une telle stratégie est choisie en connaissance de cause, car il est évident que l'idée d'une intervention militaire directe de la France ou des États-Unis serait largement impopulaire, et pourrait déclencher des réactions violentes, compte tenu de la résistance croissante à l'égard des politiques occidentales en Afrique francophone.

Toutes ces incertitudes sur les fondements juridiques et les répercussions potentielles d'une intervention militaire soulèvent des interrogations majeures quant à la voie à suivre pour la CEDEAO. Alors que l'organisation doit faire face à des décisions complexes, la stabilité et la sécurité de la région restent au centre des préoccupations.


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