"Bras de fer" entre Paris et Rome sur l'Ocean Viking, navire humanitaire bloqué en mer / Photo: Reuters (Reuters)

Sur les plus de 1.000 migrants recueillis en mer par quatre bateaux ambulance, après avoir fui de Libye sur des embarcations de fortune, seuls ceux sauvés par l'Ocean Viking de l'ONG SOS Méditerranée étaient encore bloqués mercredi au large de l'Italie.

A quai à Catane depuis dimanche, le Geo Barents de Médecins sans frontières (MSF) et Humanity 1 de l'ONG allemande du même nom ont en effet pu débarquer la totalité de leurs passagers mardi soir. Au départ les autorités italiennes n'avaient accepté que les femmes, enfants et personnes malades. Le Rise Above a lui débarqué la totalité de ses 89 rescapés en Calabre, mardi.

Le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani a confirmé mercredi que ce tri avait pour but de forcer l'Europe à aider davantage l'Italie.

SOS Méditerranée, constatant "l'impasse totale du côté de l'Italie", qui n'a accédé à aucune de ses 43 demandes de port sûr, avait finalement demandé l'assistance de la France mardi. Mais le navire n'avait "toujours pas de réponse officielle" mercredi matin, a indiqué à l'AFP la directrice de l'ONG Sophie Beau.

L'Ocean Viking, qui est toujours resté dans les eaux internationales, remonte "actuellement le long des côtes siciliennes, vers le Nord et la Sardaigne", a-t-elle ajouté.

Mardi soir, les services de la nouvelle Première ministre italienne d'extrême droite Giorgia Meloni avaient fait savoir qu'elle remerciait la France, qui, selon eux, aurait accepté d'accueillir l'Ocean Viking. Mercredi M. Tajani a affirmé dans une interview que le président Emmanuel Macron lui-même aurait décidé "d'ouvrir le port de Marseille".

Dès mardi soir, Paris avait opposé un démenti à ces affirmations, dénonçant le "comportement inacceptable" de l'Italie, "contraire au droit de la mer et à l'esprit de solidarité européenne", selon une source gouvernementale à l'AFP.

Rome doit "jouer son rôle" et "respecter ses engagements européens", a insisté mercredi sur la radio franceinfo le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran.

"Droit international très clair"

"Le droit international est très clair", avait également rappelé vendredi le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin: "Quand un bateau demande à accoster avec des naufragés à bord, c'est le port le plus sûr, le plus proche qui doit l'accueillir, en l'occurrence l'Italie".

Le président de l'exécutif de Corse Gilles Simeoni a affirmé mardi que l'île était "prête à accueillir temporairement l'Ocean Viking". Le maire de Marseille Benoît Payan a de son côté affirmé à l'AFP mercredi "qu’il était de l'honneur de la France de les accueillir".

Un bras de fer avait déjà opposé les Européens à l'Italie il y a quatre ans, sous le gouvernement de Matteo Salvini, sur l'accueil des bateaux humanitaires. Paris et Rome s'étaient notamment accrochés autour du sort de l'Aquarius, l'ancien navire de l'ONG SOS Méditerranée, qui avait finalement dû débarquer à Valence en Espagne.

Avec l'arrivée à Rome du gouvernement le plus à droite depuis la Seconde Guerre mondiale, qui s'est engagé à observer une ligne dure vis-à-vis des migrants, les tensions ont repris.

"On assiste à un bras de fer diplomatique entre la France et l'Italie, qui ouvre une brèche vers d’autres situations de ce genre, car l'Italie remet clairement en cause l'accord européen (de solidarité) qui était en sa faveur", observe auprès de l'AFP le chercheur spécialisé à l'Institut français des relations internationales (Ifri) Matthieu Tardis.

Depuis juin, un système de relocalisation, qui avait déjà connu un premier volet en 2019, prévoit qu'une douzaine d'Etats membres, dont la France et l'Allemagne, accueillent de manière volontaire 8.000 migrants arrivés dans des pays comme l'Italie, proche des côtes libyennes.

Cependant seuls 164 migrants ont été relocalisés en 2022 d'Italie vers d'autres Etats membres, dont 117 en vertu du mécanisme adopté en juin. Un nombre insuffisant juge l'Italie qui affirme que quelque 88.100 migrants sont arrivés sur ses côtes depuis le 1er janvier, dont seulement 14% via des navires humanitaires.

Depuis le début de l'année, 1.891 migrants ont disparu en Méditerranée, dont 1.337 en Méditerranée centrale, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

AFP