Les historiens algériens ont présenté à leurs homologues français “une liste ouverte de biens historiques et symboliques de l'Algérie du XIX siècle, conservés dans différentes institutions françaises, proposés à la restitution à l'Algérie sous forme de gestes symboliques”.
Au bout de quatre jours d’intenses discussions au centre des Archives nationales algériennes à Alger, les travaux de la commission mixte d’historiens algériens et français, tenus entre le 20 et 24 mai, se sont terminés sans grande décision.
Mais le communiqué final, rendu public dans l’après-midi du lundi 27 mai, a rappelé un des points de discorde entre les universitaires des deux pays : les Algériens réclament, à cor et à cri, la restitution des archives prises par la France coloniale notamment au 19ème siècle.
En plus des documents souvent précieux, il s’agit de reliques ou d’objets de valeurs ayant appartenu à des personnalités éminentes à l’image de l’Emir Abdelkader. Des ossements et autres restes mortuaires de combattants et résistants algériens, conservés dans les sous-sols du Musée des Sciences de l’Homme à Paris, font également partie des biens que l’Algérie, qui en a déjà reçu 24 en 2021, veut récupérer en intégralité.
Des archives qui appartiennent à des privés
L’œuvre n’est pas facile, surtout parce que les historiens français sont confrontés à des écueils juridiques. “Le problème, ce n’est pas que nous refusons de donner ces biens. Mais le problème majeur réside dans leur statut : beaucoup de ces reliques appartiennent à des privés qui en ont fait don à l’Etat français mais qui en garde la propriété qui est inaliénable, selon le droit français”, révèle une source diplomatique française. Elle fait référence particulièrement à un burnous, une épée et une version du coran ayant appartenu à l’Emir Abdelkader, l’un des dirigeants de la résistance algérienne à la colonisation française, qui auraient été “donnés” à des généraux français dont les descendants les ont remis aux musées français avec la condition de ne pas être restitué à d’autres Etats.
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Or, selon l’historien Mohamed-Lahcen Zeghidi, coordinateur algérien de la commission mixte d’historiens, “le prétendu don a été fait sous le chantage et la pression des autorités françaises, le burnous et l’épée sont la propriété de l’émir Abdelkader, donc par déduction celle de l’Algérie”. C’est pourquoi, “nous sommes en train de livrer une bataille qui est celle de la récupération des archives nationales pour laquelle a été instituée, d’ailleurs, la commission algéro-française pour la mémoire et l’histoire”, a-t-il clarifié.
L’obstacle juridique
Malgré la complexité de la situation, les historiens algériens veulent procéder par la méthode. “Tous les musées de France sont en fin de compte le produit des richesses des différentes colonies. Dépouiller la France du jour au lendemain de ces richesses en ferait une victime”, admet Mohammed El Korso, historien algérien qui fait partie de la commission mixte.
“Il est donc normal que toutes ces questions-là fassent l’objet de débats, de discussions, de négociations. Cela étant, l’Algérie tient fermement à récupérer ce qu’elle considère comme son bien inaliénable, indiscutable”, a-t-il ajouté.
Les historiens algériens ne perdent pas espoir pour autant. “Nous avons trouvé de l’écoute chez nos interlocuteurs français”, a indiqué Mohamed El Korso.
“Les autorités françaises refusent de nous restituer cette archive militaire sous prétexte qu’elle est souveraine, mais nous avons tout de même récupéré plus de deux millions de documents”, rappelle Mohamed-Lahcen Zeghidi. Il ne s’agit pour l’instant que de “copies”. Mais les Algériens veulent récupérer les originaux et d’autres objets.
Que va décider Emmanuel Macron ?
C’est pour cela que lors de la rencontre d’Alger, la cinquième depuis la création de cette commission en août 2022, la partie algérienne “invite la partie française à transmettre ses préoccupations en matière de restitution de biens culturels, archivistiques et autres”, note le communiqué diffusé lundi 26 mai, précisant que “la partie française accepte et s'engage à faire parvenir au Président Emmanuel Macron la liste transmise par la partie algérienne afin que les biens qui peuvent retrouver leur terre d'origine puissent l'être le plus rapidement possible”.
L’intervention du président français est indispensable puisque pour restituer certains biens, la promulgation de nouveaux textes de lois est nécessaire. C’est ce qu’il a fait d’ailleurs lors de la restitution, en 2021, de 24 crânes de résistants algériens lorsqu’il a signé une loi qui lui a permis de remettre ces restes mortuaires sans passer par le parlement, comme l’exige le droit français.
Selon une source algérienne, le souhait des autorités d’Alger est que la France remette au président algérien des «archives et des objets symboliques» lors de sa visite d’Etat en France prévue en automne prochain. Ce qui donnera plus de relief à cette visite.