Les coups d'Etat successifs dans le Sahel "remettent au goût du jour la problématique des indépendances des État africains" (Others)

La crise née du coup d'État du 26 juillet dernier au Niger contre Mohamed Bazoum apparaît comme une équation de plus en plus complexe pour Ahmed Tinubu, chef de l'État du Nigéria et président en exercice de la CEDEAO.

Au fil des jours sa détermination à restaurer à tout prix l’ordre constitutionnel au Niger par une intervention militaire, semble avoir cédé la place à plus de conciliation.

Le sommet des chefs d'états-majors des armées de la CEDEAO, initialement prévu au Nigéria, est finalement prévu à Accra, la capitale du Ghana. Des officiels de la CEDEAO expliquent ce changement de dernière minute par des "contraintes techniques".

Une explication qui est loin de convaincre le politologue camerounais Fabrice Noah. "Sans trop m’avancer, la pression ambiante au Nigéria contre une intervention militaire au Niger ne serait pas étrangère à cette décision de dernière minute."

La grogne de la rue

Vendredi dernier, des centaines d’habitants d’un quartier de Kano, la plus grande ville du nord du Nigéria, sont descendus dans la rue pour manifester leur opposition à une éventuelle intervention de l'armée nigériane au Niger voisin. Les manifestants, nous apprend la presse locale, brandissaient "des drapeaux nigérians et nigériens" accusant la France d’avoir "incité le Nigeria à entrer en guerre contre le Niger."

Dès le début de cette situation de crise, née du coup de force au Niger, des élus du nord du Nigeria avaient déjà exprimé leur hostilité à toute intervention militaire au Niger.

Le 11 août dernier, alors que les dirigeants de la CEDEAO, réunis à Abuja, n’avaient pas exclu l'idée d’une intervention militaire en cas d'échec des négociations, les sénateurs des sept régions du nord du Nigéria avaient clairement pris position contre tout recours aux armes. Une telle issue d'après eux était porteuse "de graves implications pour le pays".

"Cette situation remet au goût du jour la problématique des indépendances des État africains, souligne le politologue Fabrice Noah. Les frontières africaines sont arbitraires. Ces espaces, explique-t-il, sont le théâtre des solidarités sociologiques, économiques, etc."

Lors de la manifestation de rue de vendredi dernier dans un quartier de Kano, les commerçants déploraient la baisse de leur fréquentation depuis la fermeture des frontières du fait des sanctions économiques.

En Afrique, les zones frontalières sont souvent les régions les moins développées et les peuples survivent souvent de trafics divers et de la contrebande. Toute fermeture de frontière engendre des répercussions directes sur les populations.

Parenté commune

Au-delà de la survie quotidienne, les populations du nord du Nigéria et du sud du Niger partagent une parenté commune.

"Au plan anthropologique et de l'opportunité névralgique, ces deux peuples qui se sont vus séparés à la suite du processus de salinisation du continent africain en 1884 ont une même parenté génétique, partagent les mêmes valeurs, la même cosmogonie, les mêmes coutumes et pratiques ancestrales millénaires, explique l'anthropologue et philosophe camerounais Pascal Toueyem."

Les frontières héritées de la colonisation, insiste-t-il, "ne sont qu’une vue de l’esprit" et "toute intervention militaire du Nigéria au Niger serait un suicide politique".

Le Nigéria a "une longue tradition de coup d'État et le pays est traversé par des clivages politiques et religieux entre le nord et le sud du pays".

Ces clivages souvent exploités par des politiciens "sans scrupules".

"Le risque d’une fracture est réel. Le Nigéria a longtemps été dirigé par des militaires. La démocratie est encore fragile et les militaires ne sont jamais loin. Le Nigéria est une équation complexe", avertit le politologue Fabrice Noah.

TRT Francais