L'état alarmant des urgences françaises. Photo: Getty images (Others)

Léa se souvient encore de sa nuit aux urgences, traumatisante, humiliante. La jeune femme venait d’accoucher de son premier enfant, quand elle a dû être opérée d’urgence de la vésicule biliaire. A peine rentrée chez elle, elle est prise de douleurs aiguës dans la cage thoracique, au niveau des poumons. Retour aux urgences, celles de l’hôpital Tenon dans le XXème arrondissement de Paris, en ambulance. Là, elle attend 3 heures avant d’être “à peine auscultée par un interne qui diagnostique une mini crise cardiaque”.

Mais ce qui la marque le plus, ce sont les paroles d’une infirmière expérimentée qui la prévient : “je suis désolée, lui dit-elle, ça va mal se passer. On est trop débordés, vous allez avoir de mauvais soins”. Effectivement, entre une montée de lait et une envie pressante, la jeune femme doit se soulager sur son brancard, au milieu de tous, sans aucune intimité.

“C’était humiliant. Mais j’étais si énervée. Je garde un souvenir tellement atroce de cette nuit”, explique à TRT Français la jeune femme, qui se rappelle avoir vu dans une aile sombre de l’hôpital “des personnes âgées qui dormaient, abandonnées sur leur brancard”.

Après 12 heures aux urgences, Léa s’en sort avec une grosse frayeur. D’autres n’ont pas eu sa chance.

Le 1er octobre dernier, Lucas, 25 ans, est décédé d’une septicémie aux urgences de Hyères, dans le sud de la France, après presque 9 heures d’attente sur un brancard dans un couloir. Une injection d’antibiotique aurait pu le sauver.

Le 6 septembre 2022, France s’éteint aux urgences de Grasse, après 36 heures d’attente.

Lou, petite fille de 11 ans, succombe à une péritonite le 22 décembre 2019 à l’hôpital Necker à Paris, à cause d’une prise en charge trop tardive.

Que la partie émergée de l’iceberg…

Autant de drames évitables dont la presse se fait l’écho régulièrement. Pourtant, pour Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis, “ces quelques cas médiatisés ne représentent que la partie émergée de l’iceberg”.

En l’espace d’un seul mois, celui de décembre 2022, 31 personnes seraient mortes de manière “impromptue”, seules sur des brancards dans les couloirs des urgences, ou à la suite d’un manque de moyens disponibles, selon un décompte de Marc Noizet, président de SAMU-Urgence de France.

Le syndicat comptabilise le nombre de personnes mortes de manière “inattendue” aux urgences à travers un formulaire en ligne rempli par le soignant, témoin d’une situation de mort “inattendue”.

Nombre de patient perdent la vie dans les urgences en France. Photo: Getty (Others)

Une enquête menée I’hiver dernier par l'association professionnelle SAMU-Urgences de France permet d'estimer par extrapolation à au moins 1 500 le nombre de morts “évitables”, liées aux dysfonctionnements et au manque de moyens en personnels et en lits dans les hôpitaux.

“Il faut être clair, on est face à une dégradation de notre système de santé de manière globale, qui se reflète aussi par les chiffres de l'INSEE sur une surmortalité inattendue en 2022”, explique Christophe Prudhomme à TRT Français.

Pour le médecin, également porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, une explication se trouve dans la “difficulté d'accès au système de santé par la population, avec des retards de prise en charge dans un certain nombre de pathologies qui entraînent une surmortalité”.

“On a les éléments factuels aujourd'hui pour dire que la politique menée par ce gouvernement entraîne une surmortalité, donc elle est meurtrière”, estime celui qui est également délégué national du syndicat CGT santé.

Le médecin impute à la politique du président Macron, “fervent partisan de la politique néolibérale à l’américaine”, la “destruction du système public de santé” ou, en tout cas, une volonté de le “privatiser” et de “l’ouvrir au marché pour la population solvable”.

“Il est clair qu'aujourd'hui, on est dans une situation où on favorise les gens qui ont de l'argent, qui peuvent effectivement payer les dépassements d'honoraires pour avoir accès à un spécialiste, qui peuvent payer les dépassements d'honoraires en allant dans la clinique pour se faire opérer”. Pour le médecin, la carte vitale sera alors moins utile que la carte bleue.

Les urgences françaises dans un état alarmant. Photo: Getty (Others)

“Il faut savoir que presque 30% de l'activité hospitalière est une activité privée lucrative. En chirurgie, cela monte à 50%. Voilà là où ça rapporte, en particulier en chirurgie ambulatoire. Par contre, dans les secteurs où ça ne rapporte pas, comme la pédiatrie, c'est le service public qui assure 95% de l’activité», explique Christophe Prudhomme, par ailleurs conseiller régional d’Île de France (affilié LFI).

Cette dégradation du système de santé, qui avait été développé dès le XXIᵉ siècle et financé essentiellement par des fonds publics, remonte au tournant libéral amorcé avec Thatcher en Grande-Bretagne, Reagan aux États-Unis et Mitterrand et Delors en France.

“Ça s'est fait de manière progressive mais c'est, dès ce moment-là, que chez nous, en France, on nous a expliqué qu'il fallait diminuer les dépenses de la sécurité sociale, que ça coûtait trop cher, qu'on n'avait pas les moyens”, se souvient le médecin, qui estime que ces politiques libérales se sont accélérées avec Emmanuel Macron. “Avec Emmanuel Macron, il n'y a plus aucune valeur de service public. C'est le néolibéralisme le plus brutal”.

Le médecin, qui assure des gardes au SAMU 93 à l’hôpital Avicennes alors qu’il pourrait prendre sa retraite, tire la sonnette d’alarme. “Au bout de 30 ans, on est dans une situation où le système est en train de s'effondrer, avec des conséquences en termes de surmortalité, de ce qu'on appelle publiquement les morts évitables, alors que notre système de santé était classé parmi les meilleurs du monde au tournant des années 2000”.

“Nous, les urgentistes, on dit que les problèmes que rencontrent les urgences sont les miroirs grossissants de l'ensemble des dysfonctionnements de notre système de santé. Parce que les urgences, c'est le dernier service qui reste ouvert, théoriquement 24h sur 24, où il y a de la lumière et où on essaie de répondre aux besoins de la population.

“Mais aujourd'hui, on a de plus en plus de mal parce que le personnel est épuisé. On a énormément de démissions. Le système ne tient que par l'investissement des personnels qui restent en poste, de retraités“, regrette encore le médecin.

“Les urgences sont encombrées pour une raison très simple, c'est qu'il n'y a plus rien d’autre”, estime Christophe Prudhomme qui poursuit : “Et de stigmatiser les patients parce qu'ils viendraient pour rien aux urgences, c'est un mépris total de la réalité et un mépris total des patients. Personne ne vient pour rien aux urgences. On trouvera toujours quelques exemples de gens qui, effectivement, vont se comporter comme des consommateurs, mais c'est minoritaire !”.

Contacté à plusieurs reprises par TRT Français, le ministère de la Santé n’a pour l’instant pas répondu aux demandes de commentaires.

TRT Francais